Michelle Duflanc (Toulon)
On
appelle ainsi un certain nombre d’affections dont le point commun est une inextensibilité musculaire qui limite le
mouvement du globe dans la direction opposée au(x) muscle(s) intéressé(s), par
effet de bride
Les
uns sont congénitaux,
neuro-musculaires: syndrome de Stilling-Turck-Duane, syndrome de Brown, fibrose
familiale des muscles oculomoteurs, strabimus fixus et résultent d’un trouble
précoce de l’embryogénèse. Ils affectent le VI°, le IV° ou le III° nerfs
crâniens. Nous détaillerons le syndrome de Stilling Duane et le syndrome de
Brown.
Les
autres sont acquis: adhérences ou
fibroses musculaires post traumatiques ou post chirurgicales, rétraction par
incarcération dans un foyer de fracture.
Le
diagnostic de « restriction »
se fait sur les signes suivants:
-lors
de l’étude des ductions: limitation
de la duction dans le sens opposé au muscle intéressé et pouvant s’accompagner
de rétraction du globe dans l’orbite (mais limitation aussi dans le sens d’action
du muscle atteint traduisant son anomalie causale) ;
-lors
de l’étude des versions: déviation incomittante
augmentant à partir de la position de moindre déviation, à la fois dans le sens
opposé au muscle intéressé, avec éventuelle rétraction, et dans son sens
d’action ;
-en
peropératoire, et donc sous anesthésie générale, limitation du test de duction forcée dans le sens
opposé au muscle atteint et diminution de l’élongation de ce muscle .
L’association
d’une impotence musculaire congénitale
et d’une vision binoculaire normale, utilisée de façon constante, mais dans
une partie seulement du champ du regard est pathognomonique des syndromes
congénitaux de limitation motrice.
Les
sujets atteints utilisent effectivement leur vision binoculaire normale dans
les directions du regard où les axes visuels sont alignés; dans les autres
directions, la neutralisation prévient en général la diplopie; l’amblyopie de
l’œil atteint est rare. S’il existe une déviation strabique en position
primaire, les sujets préfèrent garder, quand ils le peuvent, le bénéfice de la
vision binoculaire et adopter pour cela une position de torticolis, la tête tournée en direction de l’impotence, autrement
dit, les yeux dirigés à l’opposé.
Les
syndromes de restriction présentent des caractères remarquablement constants au cours du temps exceptée
l’évolution spontanée des syndromes de Brown; certains patients peuvent
cependant à la longue, se trouver gênés par la nécessité de conserver un torticolis (douleurs cervicales,
restriction du champ binoculaire.) Dans certains cas, ils peuvent prendre
conscience d’une diplopie ignorée
jusque là (diminution de la neutralisation) ou présenter une asthénopie de fixation en particulier en
cas de travail sur écran. D’autres peuvent, avec le temps avoir une demande esthétique (rétraction du globe
inesthétique)
C’est
le résultat :
-d’une
agénésie partielle ou totale du noyau du
VI° nerf crânien ;
-d’une
innervation aberrante du droit latéral
par des fibres du III° nerf crânien (par compétition entre les fibres du
III° et VI° nerf crâniens) ;
-associée
à une fibrose des parties de muscle
non innervées (droit latéral, parfois médial)
Deux
mécanismes expliquent les anomalies motrices de l’œil atteint :
-la
co-contraction ou la co-inhibition des droits médial et latéral selon la
direction du regard, résultat de leur co-innervation par le III° nerf
crânien ;
-la
fibrose et/ou la contracture musculaire.
Les
anomalies que l’on constate au niveau de l’œil atteint sont de trois
ordres :
-des
limitations motrices auxquelles s’associent parfois des déviations
verticales :
-un
strabisme incomitant ;
-une
rétraction ou une protrusion de l’œil atteint, dues respectivement à la
co-contraction ou la co-inhibition des muscles droits horizontaux, selon la
direction du regard, avec les variations concomitantes de l’ouverture de la
fente palpébrale.
Le
syndrome est le classiquement unilatéral (80 à 90%) , touchant le plus
fréquemment l’œil gauche, chez la femme. Il serait en fait le plus souvent bilatéral
mais très asymétrique. Il peut être associé à d’autres anomalies oculaires
(colobomes, hétérochromie, persistance de la membrane pupillaire, opacités
cristalliniennes…) ou à des anomalies générales, squelettiques ou neurologiques
(spina bifida, syndrome de Goldenhar, de Klippel –Feil…)
Ce
syndrome est le plus souvent sporadique et d’origine inconnue, mais il existe
des cas familiaux et d’autres rapportés à un agent tératogène.
La
classification la plus utilisée est
celle d’Huber, elle est clinique et
renforcée par les études électromyographiques de Breinin. Les
différentes formes cliniques dépendent de la répartition de l’innervation
provenant du III° nerf crânien entre le
droit latéral et le droit médial et d’une innervation partielle du droit latéral
par le VI° nerf crânien.
-type I : c’est le plus fréquent
La
paralysie du VI est complète, il existe une tentative plus ou moins complète de
ré-innervation par le III.
Le
tableau clinique retrouve :
Une limitation
marquée de l’abduction ;
Une adduction
plus ou moins normale ;
Une rétraction
et un rétrécissement de la fente palpébrale en adduction ;
Une élévation
ou un abaissement en adduction.
L’électromyographie
montre :
Une
innervation paradoxale du droit latéral en adduction ;
Une paralysie
du droit latéral en abduction ;
Un droit
médial dont le fonctionnement est normal.
-type II
La
paralysie du VI a régressé à peu près complètement, la ré-innervation par le
III est importante .
Le
tableau clinique comprend :
Une limitation
marquée de l’adduction ;
Une abduction
plus ou moins normale ;
Une exotropie
de l’œil atteint ;
Une rétraction
et un rétrécissement de la fente palpébrale en adduction.
L’électromyographie
montre :
Une
innervation paradoxale du droit latéral en adduction ;
Une
innervation plus ou moins normale du droit latéral en abduction ;
Un droit
médial normal.
-type III
La
paralysie du VI a régressé à peu près complètement. Les faisceaux du III et du
VI se partagent entre les deux muscles horizontaux.
Le
tableau clinique comprend:
Une limitation
marquée de l’adduction et de l’abduction ;
Une limitation
des mouvements verticaux ;
Une rétraction
et un rétrécissement de la fente palpébrale en adduction.
L’électromyographie
montre :
Une innervation intense
du droit médial en adduction, position primaire et abduction ;
Une innervation intense
du droit latéral en adduction, position primaire et abduction.
-type IV : la divergence
synergique.
Le
tableau clinique comprend :
Une absence
d’adduction ;
Une abduction paradoxale
le d’œil atteint lors des efforts d’adduction ;
Une abduction paradoxale
de l’œil atteint lors de l’abduction de l’œil adelphe.
L’électromyographie
montre :
Une innervation du droit
latéral lors de l’adduction ;
Une contraction
simultanée des droits latéraux.
Le torticolis.
C’est
un élément essentiel à ne pas négliger dès lors qu’il est supérieur à 10°,
entraînant une symptomatologie douloureuse en raison de son retentissement sur
le rachis cervical
Il a des causes binoculaires (recherche de la position de tête où les yeux sont
alignés permettant l’utilisation de la vision binoculaire normale) mais plus
souvent des causes monoculaires (à la
recherche d’une position de confort) .
La
tête est tournée en direction de l’œil atteint dans le type I, en direction de
l’œil sain dans le type II, selon la position de l’œil atteint dans le type
III, et plus ou moins en direction de l’œil sain dans le type IV .
Les troubles
verticaux dans les types I et II.
Ils
peuvent être liés à des anomalies
innervationnelles, mais le plus souvent à des effets de brides, conséquences de la rétraction
des muscles droits horizontaux.
Le
diagnostic est le plus souvent facile chez l’adulte, les éléments de rétraction
étant bien visibles; il est confirmé par le test
de duction forcée, sous anesthésie générale.
Le traitement
est uniquement chirurgical chez l’adulte.
Il est indiqué en priorité en cas d’un torticolis significatif ou d’un strabisme mais aussi en cas de rétraction du globe et de rétrécissement inesthétique de la fente
palpébrale ou de déséquilibre vertical
disgracieux.
Les objectifs
sont néanmoins limités et le patient doit être prévenu :
L’impotence
musculaire perdurera après l’intervention ;
Le gain obtenu
dans la version du muscle paralysé entraînera une impotence dans la version
opposée,
Le torticolis
est amélioré mais non pas supprimé.
Le
plan chirurgical (dans le type I et II) se déroulera par étapes :
Le
premier temps opératoire:
-
porte sur l’œil atteint et traite en priorité le torticolis. Les règles sont de
ne jamais renforcer et de toujours reculer: recul des deux droits horizontaux,
asymétrique, généreux, basé sur le test d’élongation musculaire, selon
l’importance de la déviation et du torticolis. Chez l’adulte, on peut faire un
recul ordinaire du muscle impotent et un recul ajustable de son antagoniste
homolatéral. Ce geste permet aussi de diminuer la rétraction et les déviations
verticales si elles étaient liés à un effet de bride.
-porte
sur l’œil sain et son effet sera limité à la déviation strabique;
Le deuxième
temps opératoire règlera la déviation verticale si elle est due à une
hyperaction des obliques, supérieurs ou inférieurs, qui seront affaiblis comme
en cas de strabisme concomitant. En cas de résultat insuffisant on pourra faire
une transposition musculaire sans ignorer le risque d’ischémie du segment
antérieur et on pourra être amené à
pratiquer
un ancrage postérieur des muscles correspondants de l’œil adelphe.
Il
se définit par une limitation active et
passive de l’élévation en adduction,
dans le champ d’action de l’oblique inférieur.
Nous ne parlerons que des syndromes de Brown congénitaux, en sachant qu’ils sont
moins fréquents que les syndromes acquis
chez l’adulte (secondaires à une cicatrice rétractile de l’oblique supérieur de
cause inflammatoire, traumatique, iatrogène post opératoires) leur évolution
étant parfois régressive, mais surtout moins visible à l’âge adulte, car le
regard en haut est moins sollicité et plus facilement évité.
L’étiologie
reste inconnue, il s’agirait d’une anomalie
morphologique de l’oblique supérieur. La poulie et le tendon de l’oblique
supérieur ont le même origine mésenchymateuse. Après leur différenciation, ils
restent unis par un tissu qui se résorbe avant la naissance. Si ce tissu
persiste, le tendon ne peut pas coulisser dans sa poulie. C’est la principale
cause du syndrome de Brown congénital. La résorption de ce tissu peut expliquer
des guérisons spontanées. Il peut s’agir aussi d’un tissu fibreux engainant le
tendon, d’un tendon trop court, d’une anomalie de l’oblique supérieur par
défaut fœtal d’innervation, d’une paralysie initiale de l’oblique inférieur
responsable d’une contracture puis d’une fibrose de l’oblique supérieur.
Le
syndrome de Brown représente 1 sur 450 strabismes, il est bilatéral dans 10%
des cas, il n’existe pas de prédominance de sexe ou de latéralité. C’est un
affection congénitale, mais la découverte est souvent tardive, le plus souvent
à l’âge de la marche, dans 65% des cas avant
7
ans.
En
position primaire, il peut exister une orthophorie
ou une hypotropie de l’œil atteint. Un torticolis avec élévation du menton
et tête inclinée du côté atteint est présent dans 30% des cas.
L’examen
de la motilité retrouve la limitation de l’élévation en adduction de l’œil
atteint alors que la verticalité en abduction et l’abaissement sont normaux.
C’est le signe le plus évident et le plus constant évoquant une pseudo
paralysie de l’oblique inférieur. L’abduction est normale ainsi que l’adduction
et dans ce dernier mouvement l’œil a tendance à être dévié vers le bas et à
être associé à un élargissement de la fente palpébrale. Il peut exister une
discrète exophtalmie associée à un élargissement de la fente palpébrale au
cours de la tentative d’élévation en adduction secondaire au relâchement du
droit inférieur et à la contraction de l’oblique inférieur. Il peut exister une
hyperaction modérée du synergique controlatéral,le droit supérieur. Il existe une hyperaction minime ou absente de
l’antagoniste homolatéral, c'est-à-dire de l’oblique supérieur. Il peut exister
un syndrome alphabétique en V dû à l’intégrité de l’oblique inférieur qui
maintient son action en adduction .
Sur
le plan sensoriel, il n’existe le plus souvent pas d’amblyopie sauf lorsqu’il
existe un strabisme en position primaire. La vision binoculaire est en général
normale en position primaire et en bas. Lors des tentatives d’élévation en
adduction on peut retrouver une neutralisation ou une diplopie. Cette diplopie
est le plus souvent absente en position primaire car le sujet compense par le
torticolis.
Il
existe une forme clinique particulière : le « click
syndrome » qui se présente comme un syndrome de Brown
intermittent : le tendon se bloque et se débloque (avec un déclic que le
patient perçoit) dans la poulie, souvent plusieurs fois pendant l’examen. Il
peut s’agir d’une forme de passage entre le syndrome de Brown et la guérison.
La
coordimétrie confirme les données cliniques :
Hypoaction de l’oblique inférieur de
l’œil atteint ;
Hyperaction +/- marquée du droit
supérieur controlatéral ;
Absence d’hyperaction le l’oblique
supérieur homolatéral ;
Absence d’hypoaction de
l’antagoniste controlatéral ( droit inférieur)
Normalité de chaque œil dans le
champ inférieur.
L’électromyographie, si elle est
pratiquée, retrouve un tracé normal au niveau de l’oblique inférieur qui parait
paralysé.
Le
test de duction forcé est positif et permet d’affirmer le diagnostic ; il
met en évidence l’impossibilité d’élévation passive en adduction du globe. Ce
test est effectué sous anesthésie générale à l’aide d’un ou deux pinces, et
consiste à amener le globe atteint dans le champ d’action de l’oblique
inférieur. Le test est positif quand l’œil ne parvient pas à effectuer ce
mouvement passif.
Elle
est variable : le plus souvent stationnaire, parfois régressive.
Diagnostic
différentiel
Il
s’agit surtout de la paralysie de l’oblique inférieur qui s’accompagne
d’un hyperfonction de l’oblique supérieur homolatéral et du droit supérieur
opposé, d’un syndrome alphabétique en A, d’une énophtalmie en adduction, d’un
torticolis important et surtout d’un test de duction négatif dans le champ
d’action de l’oblique inférieur.
On
peut discuter aussi la paralysie unilatérale des deux élévateurs, affection
congénitale qui comporte une limitation de l’élévation identique en adduction
et en abduction, une orthotropie en position primaire et un test de duction
négatif.
On peut discuter un Brown acquis : le contexte peut être évocateur
( ténosynovites inflammatoires ou infectieuses, origine traumatique, origine
post chirurgicale ) ; quelques caractères sont particuliers (intermittence
du syndrome, réversibilité sous traitement dans certaines étiologies.)
Plusieurs
interventions sont en général nécessaires et l’élévation en adduction est
rarement récupérée en totalité.
Les
indications chirurgicales dépendront donc :
De l’importance d’un torticolis ;
D’une décompensation de la déviation avec hypotropie importante ;
D’une altération de la vision binoculaire en position primaire et en bas.
La chirurgie précoce est rarement
indiquée
Le
but de l’intervention est de normaliser le
test de duction passive c'est-à-dire d’obtenir une élévation en adduction
en fin d’intervention.
Plusieurs
techniques ont été proposées :
Interventions sur la gaine de
l’oblique supérieur (gainotomie ou gainectomie ) ;
Interventions sur le tendon de
l’oblique supérieur (section de brides, pelage du tendon, ténotomie ou
ténectomie,) +/- associées à un recul de l’oblique inférieur ou à
l’interposition de bandes de silicone ;
Interventions sur la trochlée
(actuellement abandonnées)
Le plus souvent, on pratiquera un affaiblissement de l’oblique supérieur
par recul de l’insertion de 8 ou 9 mm.
Les
éventuelles étapes ultérieures dépendront du résultat obtenu après la levée de
l’obstacle : en cas d’hypotropie en position primaire et d’élévation
limitée dans toutes les positions du regard, on peut préférer opérer l’œil sain
pour le freiner et rendre son élévation la plus semblable à celle de l’œil
atteint.
1-Roth,
Speeg-Schatz. La chirurgie oculo-motrice. Masson 1995,357-363.
2-Espinasse-Berrod.
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5-De
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6-Bérard
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