LE STRABISME PRECOCE
ALAIN RETOUT ROUEN
INTRODUCTION :
Le strabisme précoce ou plutôt le syndrome de strabisme
précoce se définit par un dérèglement oculo-moteur et sensoriel qui retrouve
son origine durant les 6 premiers mois de vie, phase de maturation fondamentale
du système optomoteur.
Ce strabisme est parfois nommé strabisme essentiel précoce
pour signifier l'absence de cause connue, notamment paralytique, musculaire ou
accommodative.
L'ensemble des signes associé à la déviation angulaire ne
sont pas forcément tous présents en même temps et évoluent avec le temps.
Il s'agit essentiellement de la fixation en adduction avec
un torticolis dans 20 à 80% des cas,d' une fixation en incyclo-torsion,d' un
nystagmus manifeste latent spécifique du strabisme précoce présent dans 50 à
90% des cas,d' une déviation verticale dissociée qui n'est pas pathognomonique
du strabisme précoce mais est très fréquente.
Sur le plan sensoriel il s'agit compte tenu de son début
très précoce d'une correspondance rétinienne anormale avec neutralisation
fréquente et assez souvent alternance et donc amblyopie peu fréquente.
PRESENTATION DU STRABISME PRECOCE :
Le plus souvent, l'enfant présentant un strabisme précoce
est sain, neurologiquement normal, sans problème associé.
On note toutefois que des enfants présentants des lésions
neurologiques pré ou néotales avec souffrance neurologique, hydrocéphalie et
embryofoetopathie, sont associés à une haute fréquence de strabisme précoce, 20
à 40%, en raison de la perturbation évidence qu'ils amènent au développement de
la vision binoculaire. Dans cette population d'ailleurs les divergences
précoces sont plus fréquentes que les ésotropies précoces.
L'apparition du strabisme est notée avant l'âge de
6 mois mais l'âge de découverte peut parfois être aux alentours de 1 an surtout
dans les micro-strabismes.
L'amétropie associée retrouve 40%
d'hypermétropie légère inférieure à 2 dioptries. Le facteur accommodatif n'est
donc pas prépondérant mais peut parfois se démasquer secondairement ce qui
nécessitera de répéter les cycloplégies.
Il peut s'agir
d'une déviation moyenne en ésotropie avec fixation croisée en adduction, l'œil
droit fixant vers la gauche et l'œil gauche fixant vers la droite en alternance.
Il peut s'agir également d'une exotropie surtout lorsqu'il y a des problèmes
associés. Il peut s'agir également d'une microtropie possible avec possibilité
d'union binoculaire.
Elles sont marquées
par la correspondance rétinienne anormale qui est constante, définitive,
qui explique que le meilleur résultat sensoriel possible soit une union
binoculaire. L'obtention médicale ou
chirurgicale d'une microtropie Inférieure à 8 dioptries horizontales et 4
dioptries verticales favorise cette union binoculaire.
La neutralisation est le mécanisme puissant de lutte contre
la diplopie et dans les strabismes de l'enfant et il s'agit le plus souvent
d'une neutralisation alternante. L'amblyopie est retrouvée selon
les études dans 9 à 35% des cas. Elle doit bien sûr rester le souci permanent
dans la surveillance de ces strabismes précoces.
Les anomalies oculo-motrices :
On notera premièrement en dehors du degré d'angle strabique
et de son mode, la fixation en adduction avec torticolis que l'on
retrouve dans 20 à 80% des cas. Ce torticolis change en fonction de l'œil
fixateur, il s'agit donc d'un torticolis alternant dissocié (TAD). Lors de
l'occlusion monolatérale chaque œil prend la fixation en adduction avec
rotation de la tête horizontalement du côté de l'œil fixateur. Il s'agit d'une
situation où le nystagmus que l'on verra plus tard diminue voire disparaît en
intensité.
Très rarement le torticolis alternant dissocié se fait en
adduction et il s'agit dans ce cas-là plutôt le cas des exotropies précoces.
La fixation en incyclotorsion :
Très fréquemment le sujet penche la tête du côté de l'œil
fixateur en plus de la fixation en adduction ou indépendamment. Cela stimule
une incyclotorsion de fixation et induit sur l'œil non fixant une
excyclotorsion et une élévation pouvant expliquer en partie la déviation
verticale dissociée.
Le nystagmus manifeste latent
Il est présent dans 40 à 90% des cas. Il est spécifique du
strabisme essentiel précoce. Il s'agit d'un nystagmus congénital témoin de
l'immaturité de la binocularité sensorielle et motrice.
Il est différent du nystagmus congénital patent qui relève
d'une immaturité du réflexe de fixation (il n'y a pas de trouble de la vision
binoculaire associée). Ce nystagmus est un nystagmus à ressort, le plus souvent
horizontal mais il peut être également torsionnel et vertical. Il apparaît ou
augmente à l'occlusion monolatérale, d'ou son terme de manifeste latent.
Sa direction s'inverse selon l'œil fixant, il bat du côté
de l'œil découvert et son intensité diminue en adduction lorsque la fixation se
fait en abduction. Il diminue voire se bloque et se stoppe complètement les
deux yeux ouverts. La position de fixation en adduction où l'intensité du
nystagmus congénital manifeste latent diminue est la position de meilleure
acuité visuelle donc de meilleur confort visuel.
On retrouve une asymétrie du nystagmus optocynétique,
en effet on a une diminution voire une hypoexcitabilité optocynétique dans le
sens naso-temporal alors que le nystagmus est présent dans le sens
temporo-nasal.
La déviation verticale dissociée qui est
très fréquente dans les strabismes précoces mais non pathognomonique de
celui-ci.
L'origine de ces déviations dissociées est un trouble
autonome de la maturation oculo-motrice. Pour certains il s'agirait d'un
mécanisme de compensation des composantes cyclo-verticales du nystagmus
congénital manifeste latent.
Sur le plan clinique il s'agit d'une élévation lente,
progressive de l'œil occlus (lorsqu'il est dissocié) avec assez souvent une
excyclorotation associée.
Cette déviation verticale dissociée diffère des phories car
lorsque les deux yeux sont occlus il n'y a pas de verticalité. Elle diffère
d'une déviation concomittante car l'autre œil ne s'abaisse pas lors du
changement d'œil fixateur mais au contraire il s'élève également dans le même
sens lorsqu'on fait une occlusion alternée.
Cette déviation verticale dissociée est le plus souvent bilatérale mais peut
être asymétrique. Elle apparaît entre 18 mois et 5 ans et diminue volontiers en
grandissant. Elle peut etre spontanée apparaissant à la fixation prolongée ou seulement sous écran dissociant la
fixation
Il existe d'autres déviations dissociées qui peuvent être
horizontales ou éventuellement une élévation en adduction, voire un syndrome
alphabétique.
La conduite à tenir thérapeutique :
Il faut savoir que la guérison sensorielle et le plus
souvent motrice est impossible, le meilleur espoir reposant sur une microtropie
avec une union binoculaire qui pourrait améliorer la stabilité dans le temps.
Une instabilité oculo-motrice est toujours possible.
En effet l'origine de ce syndrome provient d'anomalies de
développement des vergences toniques et accommodatives de la fusion entraînant
des anomalies majeures du développement oculo-moteur.
La correction optique totale sera
donc instituée mais classiquement le facteur accommodatif est peu important.
On vérifie bien l'alternance de fixation sinon une occlusion
alternée est la meilleure méthode permettant éventuellement des exercices
d'abduction.
Les protocoles chirurgicaux seront le plus souvent une intervention bilatérale visant à supprimer l'excès d'adduction de l'œil fixateur. La part dynamique du strabisme pourra être traitée par la Faden opération et la chirurgie conventionnelle à type de recul résection pour traiter la part anatomique ou statique.
Le signe de l'anesthésie et le test d'élongation musculaire
sont les compléments indispensables du bilan pré-opératoire pour réaliser et
décider de la quantité du geste chirurgical.
Le moment de la chirurgie :
Théoriquement une intervention la plus précoce possible
devrait permettre de reprendre un développement visuel sub normal et espérer
limiter les conséquences sensorielles et motrices de ce syndrome.
On parle donc d'intervention précoce si celle-ci est
réalisée avant l'âge de 2 ans et différée après l'âge de 2 ans.
Le choix est difficile et les différentes études
randomisées n'ont pas réellement prouvé de différences et de bénéfices entre
les deux.
Les injections de toxine botulique dans les
droits médiaux en cas de fixation en adduction montrent des résultats
encourageants à condition de réaliser des injections bilatérales et de
commencer le traitement précocement, en tout cas avant 18 mois pour les
premières injections.