N GRAVIER Nantes
La
chirurgie d’une paralysie du VI intervient au terme de la période d’évolution
décrite précédemment.
L’ophtalmologiste
devra se poser trois questions :
-
Faut-il
opérer ce strabisme paralytique ?
-
Quand
faut-il l’opérer ?
-
Quels
muscles faut-il opérer ?
I – FAUT-IL OPERER ?
L’intervention est indispensable à partir du moment où il existe une gêne fonctionnelle avec diplopie, défaut de localisation, … entravant le quotidien du patient.
En
cas de déviation oculomotrice minime, lorsqu’une correction prismatique de
faible puissance (<6D) ou bien
lorsqu’une compensation par les mécanismes fusionnels permettent de supprimer
la gêne fonctionnelle, l’intervention n’est pas requise.
De
même, en cas de neutralisation active et d’arrêt de la diplopie, il n’y a pas
d’indication chirurgicale.
L’indication
opératoire tiendra également compte de l’état général du patient. Il
faudra mettre en balance le bénéfice
fonctionnel prévisible et le risque chirurgical et anesthésique.
II – QUAND OPERER ?
Il
faut bien entendu que le processus causal soit guéri et/ou stabilisé. Le suivi
orthoptique a permis d’établir le profil évolutif de la déviation. Si le
déficit oculo-moteur est stable, on peut entreprendre la chirurgie. La
règle veut qu’une chirurgie de paralysie du VI ne s’effectue jamais avant six
mois d’évolution mais on attend en général 9 mois pour avoir une bonne
stabilisation.
On sait en
effet que 70 à 80 % des paralysies du VI ont tendance à récupérer spontanément.
Bien entendu,
ce délai sera modulé en fonction de l’étiologie de la paralysie du VI. Par
exemple, en cas de rupture totale du VI (post-neurochirurgie par exemple), il
est évident que cela ne sert à rien d’attendre une éventuelle récupération qui
ne viendra jamais. La chirurgie interviendra donc plus rapidement que le délai
de 6 mois.
III QUELS
MUSCLES VA-T’ON OPERER ?
Le
choix sera fonction de trois critères de décision :
-
de
l’angle primaire résiduel,
-
de
la limitation des ductions (recherche d’une différence entre les versions et
les ductions),
-
et
d’éventuelles incomitances.
Nous allons ainsi définir plusieurs cas
de figures, permettant de déterminer les plans opératoires.
1°) RECUPERATION QUASI-TOTALE :
L’œil
dépasse largement la ligne médiane. La récupération neurologique a eu lieu. Le
droit latéral a récupéré une contraction normale mais il y a souvent apparition
d’une hyperaction d’un muscle :
-
soit
une hyperaction de l’antagoniste homolatéral lorsque l’œil parésié est l’œil
non fixateur. Dans ce cas, on procèdera à un recul du droit médial du côté
parésié.
-
lorsque
l’œil parésié est fixateur, on a plutôt une hyperaction du synergiste
controlatéral, en l’occurrence le droit médial controlatéral, et dans ce cas on
procèdera plutôt à un recul simple de ce muscle.
2°)
LA RECUPERATION EST INCOMPLETE MAIS L’ŒIL ATTEINT LA LIGNE
MEDIANE OU DEPASSE TRES LEGEREMENT LA LIGNE MEDIANE :
-
Dans
ces cas là, il faut rééquilibrer les forces oculomotrices en présence. On agira
sur l’angle résiduel soit en renforçant le muscle parétique, soit en
affaiblissant l’antagoniste homolatéral, soit les deux avec une chirurgie
combinée de recul/plissement, en fonction de l’angle résiduel.
-
On
pourra agir sur l’incomitance dans les regards latéraux par une myopexie
rétro-équatoriale du synergiste controlatéral. On crée ainsi une «parésie
contre parésie » de façon à symétriser le déficit du champ moteur des deux
yeux, l’abduction étant limitée par la paralysie du côté atteint et l’adduction
limitée par la myopexie rétro-équatoriale du côté sain.
-
Le
dosage chirurgical sera souvent plus généreux que dans une chirurgie de
strabisme classique. Le renforcement d’un droit latéral hypoactif et le recul
d’un droit médial rétracté sont donc majorés. Le test d’élongation musculaire
peropératoire sera très utile pour apprécier le degré de rétraction du droit
médial, mais sera faussement rassurant pour un droit latéral dont le potentiel
innervationnel n’a peut-être pas récupéré totalement.
3°) LA RECUPERATION EST NULLE, IL N’Y A AUCUN
MOUVEMENT, L’ŒIL
RESTE EN DEDANS, N’ATTEINT PAS LA
LIGNE MEDIANE :
Le
problème qui peut se poser est de savoir si l’œil est resté en dedans parce
qu’il n’y a pas eu de récupération de la paralysie oculomotrice ou bien si
l’œil reste dans sa position bloquée en adduction parce qu’il s’est développé
une contracture sévère du droit médial qui empêche tout mouvement malgré une
éventuelle récupération de la paralysie du VI.
Le
choix du protocole se fera donc au moment de l’opération par l’examen des yeux
sous anesthésie générale et par les tests de duction forcée sous anesthésie
générale.
=>Si
les tests de duction forcée sont normaux et l’élongation musculaire du droit
médial normale, il n’y a donc pas de rétraction du droit médial, il y a donc
absence totale de récupération du VI. Dans ce cas, la technique chirurgicale
repose sur une chirurgie de suppléance type Hummelsheim-Kauffman de première
intention. Le principe de l’intervention de suppléance repose sur un effet
passif et un effet actif lors du mouvement :
-passivement,
le haubanage réalisé permet de
recentrer l’œil en position primaire.
-la
modification de la ligne d’action des parties transposées des 2 droits
verticaux permet de donner à ces muscles une action abductrice, et de suppléer
une abduction défaillante
On
peut compléter cette chirurgie de suppléance par une injection de toxine
botulique dans le Droit médial homolatéral afin de libérer l’adduction et
permettre à la transposition d’être plus efficace.
Le
patient aura été prévenu qu’il n’y aura certainement pas de récupération
complète d’une abduction.
=>Si,
au contraire, les tests de duction forcée sous anesthésie générale sont
positifs, c’est à dire si les ductions passives sont réduites, on est donc
devant une contracture du droit médial. Plus cette contracture sera importante,
plus l’œil sera bloqué en dedans. Dans ces cas-là, on procèdera à une chirurgie
classique avec un grand recul du droit médial rétracté associé à une résection
du droit latéral.
Ce
n’est que dans un deuxième temps, si malheureusement il n’y a pas eu de
récupération de l’innervation du droit latéral, que l’on procèdera à une
chirurgie de suppléance.
TECHNIQUE DE LA CHIRURGIE DE HUMMELSHEIM-KAUFFMAN :
Je
ne décris pas les différentes variantes de chirurgie de suppléance proposées
pour ne décrire que la technique que j’adopte personnellement et qui donne
toute satisfaction.
Après une
ouverture de la conjonctive au limbe en supérieur, en latéral et en inférieur,
les trois muscles droits supérieurs, latéral et inférieur sont disséqués. Le
droit supérieur est chargé sur un crochet, un fil de Vicryl® 5/0 est passé au
niveau de l’insertion du droit supérieur à sa partie latérale et on procède à
une ténotomie de la moitié latérale du droit supérieur. Ensuite, le muscle est
fendu longitudinalement sur 10 à 12 mm en prenant bien soin de ne pas fendre
l’oblique supérieur situé juste dessous et dont la gaine est souvent adhérente
à la gaine du droit supérieur.
Cette
bandelette du droit supérieur est ensuite glissée sous le droit latéral qui
était préalablement disséqué et la bandelette est fixée au bord inférieur du
droit latéral, juste derrière l’insertion.
On procède de
la même manière avec une bandelette du droit inférieur sachant que la
bandelette du droit inférieur fera rarement plus de 1O mm de longueur
compte-tenu de la présence du ligament d’arrêt de Lockwood.
La
bandelette du droit inférieur est glissée sous le droit latéral et est suturée
au bord supérieur du droit latéral, juste derrière l’insertion du muscle.