Paralysie unilatérale des deux élévateurs

Mitra Goberville (CHNO des Quinze-Vingts, Paris)

 

 

 

 

La paralysie unilatérale des élévateurs est une entité clinique rare, qui traduit probablement plusieurs phénomènes physiopathologiques distincts. Elle a été décrite sous le nom de «double paralysie des élévateurs » pour la première fois par Dunlap en  1952 (1). Elle est définie par une limitation de l’élévation de l’œil atteint, en abduction et en adduction, par atteinte des muscles droit supérieur et oblique inférieur.

Il s’agit  le  plus souvent d’une atteinte congénitale bien que plusieurs cas  d’atteinte acquise aient été décrit chez des sujets porteurs de lésions prétectales (2, 3).

CLINIQUE

Les signes cliniques sont marqués par l’hypotropie de l’œil atteint en position primaire entraînant une attitude compensatrice tête rejetée en arrière. Dans cette attitude la déviation verticale disparaît et la vision binoculaire est présente, du moins initialement. De face il existe un « faux ptôsis » lié à l’hypotropie et qui disparaît lorsque cet œil prend la fixation. Un vrai ptôsis peut parfois y être associé. L’examen de la motilité montre une impotence majeure de l’élévation de l’œil quelle que soit la direction du regard. Le signe de Charles Bell est en général présent, laissant évoquer une origine supra-nucléaire de la paralysie.

 

PHYSIOPATHOLOGIE

En effet, le mécanisme physiopathologique le plus souvent évoqué, est celui d’une atteinte vasculaire unilatérale au niveau du pretectum (3- 4). Toutefois, l’absence du  signe de Charles Bell chez certains sujets pourrait  être expliquée par une fibrose secondaire du droit inférieur homolatéral. Le test de duction forcée sous anesthésie générale permet de confirmer cette contracture.

 Ziffer et coll. (5) décrivent 3 formes étiologiques responsables de cette entité clinique:

-         Fibrose initiale du droit inférieur empêchant l’élévation de l’œil

-         Paralysie isolée du droit supérieur ancienne ayant entraîné un déficit global de l’élévation par fibrose secondaire du droit inférieur

-         Paralysie supra nucléaire de l’élévation.

Les anomalies primitives acquises ou congénitales du droit inférieur constituent pour d’autres auteurs (6) de véritables diagnostics différentiels. En effet une fibrose ou une anomalie d’insertion congénitale sur le droit inférieur ainsi que toute fibrose acquise de ce muscle (post-traumatique, maladie de Basedow …) peuvent simuler une partie du tableau clinique. Pour ces auteurs, il s’agit par définition d’une paralysie centrale supra-nucléaire et lorsque l’on observe un signe de Charles Bell négatif et des tests de ductions forcées positifs, il s’agit d’une contracture secondaire du droit inférieur liée à l’ancienneté de la paralysie.

Il est toutefois très difficile de distinguer  ces 2 formes comportant une contracture du droit inférieur (Charles Bell négatif et test de duction forcée positif) : S’agit-il d’une fibrose essentielle du droit inférieur avec normalité de la fonction des muscles élévateurs ou s’agit t-il d’un déficit ancien de l’élévation ayant entraîné une fibrose secondaire du droit inférieur ? La réponse à cette question est importante car elle influence le protocole opératoire.

Des études portant sur les saccades oculaires et sur l’imagerie par résonance magnétique tentent de  trouver des protocoles pour différencier ces deux formes en pré-opératoire afin de prévoir le geste chirurgical (5, 7).

Les récentes études en IRM semblent montrer une diminution de volume du droit supérieur  lors des paralysies vraies du droit supérieur (7).

 

 

TRAITEMENT CHIRURGICAL

Le traitement chirurgical doit tenir compte de ces différentes formes cliniques et s’appuyer sur les données du coordimètre.

Plusieurs procédés chirurgicaux sont envisageables :

-         Recul du droit inférieur homolatéral

-         Plicature ou résection du droit supérieur homolatéral

-         Recul et/ou mise en place d’un ancrage postérieur sur le droit supérieur controlatéral.

-         Recul de l’oblique inférieur controlatéral

-         Chirurgie de transposition complète des muscles horizontaux ou «intervention de Knapp », souvent considérée comme la procédure de choix dans cette pathologie (8, 9, 10).

En effet, Knapp proposa en 1969 (8) une transposition totale des muscles horizontaux aux bords de l’insertion du droit supérieur afin de réduire ces hypotropies majeures. Lorsque le test de duction forcée était positif un recul du droit inférieur  y était associé.

Cette intervention semble donner d’excellents résultats initiaux avec toutefois un risque important de surcorrection progressive (10, 11). Cette surcorrection engendre de réels problèmes car la déviation est maximale dans le regard vers le bas, nécessaire à la lecture. Ce risque est majoré lorsqu’un recul du droit inférieur y a été associé (10).

Roth (12) propose  un schéma basé sur les capacités d’élévation de l’oeil atteint :

-         S’il dépasse l’horizontale, il pratique un recul de l’oblique inférieur controlatéral avec mise en place d’un ancrage postérieur sur le droit supérieur controlatéral. Ceci peut s’associer à un renforcement du droit supérieur du côté atteint

-         Si l’oeil n’atteint pas l’horizontale une intervention classique de recul/résection du côté atteint  associé à un recul et pose d’ancrage postérieur sur le droit supérieur opposé peut être proposé. Une intervention de Knapp peut aussi être discutée dans ce cas.

Pour Von Noorden l’intervention de Knapp donne d’excellents résultats s’il n’y a pas de contracture du droit inférieur. Dans le cas contraire il faut commencer par un recul de ce muscle et attendre avant de juger s’il existe un véritable problème innervationnel.

Deller propose la mise en place d’un ancrage postérieur sur le droit supérieur controlatéral associé à un recul de celui-ci uniquement s’il existe une hypertropie de cet oeil dans le regard vers le bas.

Les résultats de ces différentes techniques chirurgicales semblent satisfaisants dans l’ensemble avec la récupération d’une fusion dans la position primaire. Une chirurgie du ptôsis résiduel peut être envisagée dans un deuxième temps

 

CONCLUSION :

La prise en charge d’une impotence des deux élévateurs d’un oeil doit tenir compte des déficits et hyperactions en jeu dans chaque cas pour assurer le succès du traitement chirurgical. L’analyse clinique initiale ainsi que le test de duction forcée sous anesthésie générale permettent une meilleure compréhension des mécanismes impliqués et plusieurs temps chirurgicaux peuvent êtres nécessaire afin de mener à bien ce traitement.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

1-     Dunlap EA. Diagnosis and surgery of double elevator underaction. Memorias VI Congress. Panamericano de Oftalmologia 3. 1952 ; 1154.

2-     Munoz M, Page LK. Acquired Double Elevator Palsy in a Child with a Pineocytoma. Am J Ophthalmol. 1994, 15 ; 118 : 810-811.

3-     Jampel RS, Fells P. Monocular elevation paresis caused by a central nervous system lesion. Arch Ophthalmol. 1968 ; 80 : 45-57.

4-     Lessel S: Supranuclear paralysis of monocular elevation. Neurology. 1975 ; 25 : 1134.

5-     Ziffer AJ, Rosenbaum AL, Demer JL, Yee RD. Congenital double elevatot palsy: Vertical saccadic velocity utilizing the scleral search coil technique. Pediatr Ophthalmol Strabismus. 1992; 142-149.

6-     Von Noorden GK. Binocular vision and ocular motility. 6th Edition. St Louis : Mosby, 2001 ; 442-443.

7-     Cadera W, Bloom JN, Karlik S, Viirre E. A magnetic resonance imaging study of double elevator palsy. Can J Ophthalmol. 1997 ; 32 : 250-253.

8-     Knapp P. The surgical treatment of double elevator paralysis. Tr Am Ophthalmol Soc. 1996 ; 67 : 305-323.

9-     Lee JP,O Collin JR, Timms C. Elevating the hypotropic globe. Br   J Ophthalmol. 1986 ; 70 : 26-32.

10-Burke JP, Ruben JB, Scott WE. Vertical trasposition of the horizontal recte (Knapp procedure) for the treatment of double elevator palsy: effectiveness and long-term stability. Br J of Ophthalmol. 1992 ; 76 : 734-737.

11- Deller M. La nouvelle chirurgie de la paralysie unilatérale des élévateurs. J Fr Orthoptique. 1987 ; 61-64.

12-  Roth A, Speeg-Scatz C. La chirurgie oculo-motrice. Masson Paris,1995: 351- 352.