LES NYSTAGMUS NEUROLOGIQUES ACQUIS
Dr Alain
SPIELMANN
11, rue de
la Ravinelle
54 000
NANCY
Le texte suivant est un résumé du chapitre consacré aux
nystagmus acquis dans :
Spielmann A.,
Spielmann A.C.
Nystagmus congénital. Nystagmus manifeste/latent.
Nystagmus acquis.
Encyclopédie Médico-Chirurgicale (Elsevier SAS, Paris),
Ophtalmologie, 21-560-A-10, 2005.
Les nystagmus acquis sont bien plus rares en pratique
ophtalmologique que les nystagmus précoces. Ils peuvent être classifiés selon
l’atteinte anatomique ou le mécanisme physiopathologique responsable (réf. 1):
• nystagmus vestibulaires : centraux et périphériques ;
• nystagmus liés à la position des yeux : nystagmus du
regard excentré ;
• nystagmus d’origine visuelle : nystagmus par privation
visuelle et nystagmus pendulaire acquis (liés au système de fixation visuelle)
;
L’origine traumatique, vasculaire, tumorale,
malformative (Arnold-Chiari), inflammatoire (SEP) ou dégénérative peut être
également la base d’une classification. Le mode de survenue peut être brutal
comme dans les cas traumatiques ou plus progressif, comme en pathologie
dégénérative ou tumorale. Le nystagmus peut être le mode de révélation d’une
maladie grave.
En pratique ophtalmologique, lorsque l’ophtalmologiste
est amené à prendre en charge un nystagmus acquis, le bilan étiologique a déjà
été réalisé et le contexte est évident. Une classification exacte du nystagmus
n’est pas indispensable pour définir les possibilités thérapeutiques chirurgicales
qui se fondent, comme pour les nystagmus précoces, sur l’examen clinique.
PARTICULARITES
CLINIQUES DES NYSTAGMUS ACQUIS PAR RAPPORT AUX CONGENITAUX
Nystagmus
La direction des nystagmus acquis est souvent verticale,
battant vers le haut ou vers le bas. Cependant, des nystagmus horizontaux ou à
part horizontale représentent pour nous environ un tiers des cas. La position
de blocage n’est pas toujours corrélée avec le sens du nystagmus. Le
nystagmus peut être incongruent, dans son intensité et
même dans ses directions, chez un même patient
Désordres
oculomoteurs associés
Divers désordres oculomoteurs s’associent fréquemment
aux nystagmus acquis et en compliquent la prise en charge (réf. 2, 3, 4):
paralysie nucléaire, supra nucléaire, internucléaire, paralysie de fonction
(regard vertical ou horizontal), troubles de la convergence (paralysie ou
spasme), anomalies des saccades ou de la poursuite. Des phénomènes
cyclotorsionnels dont l’origine peut être discutée sont fréquents. Il faut
savoir différentier nystagmus vrai et nystagmus parétique, de même que
torticolis nystagmique et torticolis paralytique. Dans certains cas complexes,
une classification exacte de tous les troubles oculomoteurs associés est
impossible.
Diplopie
Les diplopies sont fréquentes du fait des problèmes
oculomoteurs associés. Ces patients présentent souvent de pauvres capacités
fusionnelles, peut-être en raison d’une atteinte d’un éventuel « centre » de la
fusion situé dans le tronc cérébral, mais aussi de lésions associées des voies
visuelles. La zone sans diplopie ne coïncide pas obligatoirement avec la zone
sans nystagmus.
Oscillopsies
La présence d’oscillopsies est le signe essentiel des
nystagmus acquis. Ces oscillopsies sont particulièrement invalidantes. Elles
peuvent être à l’origine de sensations vertigineuses et de troubles de la
marche, même en l’absence de syndrome vestibulaire. Elles peuvent empêcher le
patient de se livrer à une quelconque activité.
Les diplopies sont gênantes, mais les oscillopsies ne
sont pas tolérables. On peut lutter contre une diplopie en fermant un œil, mais
pas contre les oscillopsies sinon au prix de torticolis difficiles à adopter,
car ils sont souvent verticaux et concernent des personnes âgées.
Pathologie
neuro-ophtalmologique associée
Des lésions situées à tous les niveaux des voies
visuelles peuvent être associées au nystagmus, notamment dans un contexte
vasculaire ou traumatique. La présence d’une neuropathie optique ou d’une
hémianopsie n’est pas rare. Il convient de faire la part des choses entre les
baisses d’acuité d’origine nystagmique et celles d’origine lésionnelle. En
principe, en l’absence d’anomalie des voies visuelles, l’acuité visuelle est
conservée dans les positions où le nystagmus se bloque. En fonction de
l’étiologie du nystagmus, le tableau neurologique peut être sévère, pouvant
associer, à des degrés divers, une atteinte des autres nerfs crâniens
(paralysie faciale), aphasie, hémiplégie, etc.
Prise en
charge des patients
Dans une étude personnelle de 48 cas opérés (réf. 4), l’âge
moyen au moment de l’atteinte neurologique était de 32 ans, mais les patients
n’ont consulté pour avis chirurgical qu’à l’âge de 39 ans, soit plus de 7 ans
après la survenue de l’atteinte causale. Ce retard à la prise en charge semble
lié à l’ignorance des possibilités chirurgicales par une partie du corps
médical et peut avoir des conséquences médico-légales.
Les traitements
pharmacologiques des nystagmus acquis reposent sur la spécificité des
neurotransmetteurs utilisés par le système vestibulaire et le système de
l’oculomotricité verticale (ref. 1). Différentes substances ont été proposées
et seraient efficaces selon le type de nystagmus. Elles seraient utiles pour
atténuer le nystagmus, mais ne permettent pas de le faire disparaître. Dans une
étude récente portant sur des nystagmus acquis, la diminution moyenne de
l’amplitude était de 33% (réf. 5). Ces
traitements ne permettent pas de traiter les désordres oculomoteurs associés.
L’injection de
toxine botulique dans les muscles oculomoteurs a aussi été suggérée, avec des
résultats inconstants et de nombreux effets indésirables (réf. 6).
TRAITEMENT
CHIRURGICAL
Dans un nystagmus acquis, la situation est difficile à
vivre pour le patient. Il nous semble impensable de ne pas tenter la chirurgie,
au moins pour supprimer les oscillopsies et les torticolis majeurs. Le
traitement s’intègre dans une logique de réhabilitation sociale chez des
adultes autrefois actifs. Même chez un patient grabataire, la possibilité de
regarder la télévision ou de lire un journal est un résultat inestimable pour
lequel le patient sera éternellement reconnaissant.
Zones privilégiées excentrées d’équilibre du nystagmus
Elles bénéficient du même traitement que les nystagmus
congénitaux
• lorsqu’il existe une position de blocage ou
d’atténuation, il faut la mettre à profit par une chirurgie de type Anderson-
Kestenbaum ;
• lorsque aucune position de blocage n’est présente ou
lorsque le nystagmus est de type périodique alternant, une chirurgie de recul
des quatre muscles droits horizontaux (ou verticaux dans le cas de nystagmus
verticaux) est indiquée. De grands reculs sont certainement nécessaires pour
avoir une action mécanique sur l’intensité du nystagmus (ref. 7), mais certains
auteurs américains pensent que la simple désinsertion puis réinsertion du
muscle serait en partie efficace par le biais d’une action proprioceptive.
Désordres oculomoteurs associés
Ils représentent la part difficile du traitement. La
difficulté du traitement chirurgical des nystagmus acquis est davantage liée :
• au traitement des déviations paralytiques du regard
qui s’ajoute à celles du nystagmus rendant les indications opératoires
complexes ;
• au traitement
des diplopies. Celles-ci ont des formes inhabituelles en raison de
l’association fréquente de déviations supra nucléaires et de paralysies
oculomotrices. Si la zone d’atténuation du nystagmus doit être transférée en
position primaire, la zone sans diplopie doit l’être également. Le traitement
est difficile car les capacités fusionnelles sont souvent limitées et les
anomalies cyclotorsionnelles omniprésentes. Une chirurgie réglable sur un
maximum de muscles est d’un grand secours. De petits prismes postopératoires peuvent
être utiles.
On peut espérer une suppression du nystagmus et des oscillopsies dans un bon nombre de cas, au moins en position primaire. Les oscillopsies peuvent disparaître même dans les cas où un léger nystagmus persiste (diminution de l’amplitude du nystagmus en dessous de 5°, réorganisation neuronale ou création d’un temps de fovéation ?). Curieusement, l’orthotropisation en cas de déviation paralytique associée est aussi un facteur de stabilisation du nystagmus.
Cas n° 1 : Jeune femme ayant présenté une hémorragie cérébrale alors qu’elle était
enceinte. Nystagmus vertical avec oscillopsies extrêmement invalidantes :
ne supporte pas d’avoir les yeux ouverts lorsqu’elle regarde droit devant. Tête
rejetée en arrière au maximum car le nystagmus se bloque vers le bas. Diplopie
torsionnelle associée (extorsion) traitée par verre dépoli devant l’œil gauche.
Traitement par Kestenbaum vertical (recul des 2 droits inférieurs, résection des
2 droits supérieurs). Ce plan opératoire a l’avantage de traiter en même temps
la torsion (action cyclotorsionnelle des droits verticaux). Disparition du
nystagmus en postopératoire. Video au lendemain et au 6ème mois postopératoire.
La patiente peut à nouveau ouvrir les yeux et reprendre des activités normales.
Cas n° 2 : Homme de 55 ans ayant présenté un nystagmus vertical apparu 4 mois après
un AVC du tronc cérébral. Ce délai est classique et correspond à une atteinte
dégénérative de la voie dento-rubro-olivaire avec hypertrophie secondaire de
l’olive bulbaire dans le cadre d’un tremor (ou myoclonus) oculo-palatal (ref.
8, 9). Oscillopsies invalidantes : ne peut plus lire, ni utiliser son
ordinateur, ni même regarder la télévision, alors que la vision est au centre
de ses préoccupations puisqu’il est en chaise roulante (hémiplégie associée).
Pas de zone de blocage, pas de torticolis. Ophtalmoplégie internucléaire
associée (très fréquente dans ce genre de cas). Recul des 4 droits verticaux de
8-9 mm. Disparition du nystagmus et des oscillopsies dans la vie courante (sauf
à la fatigue et regard extrême vers le haut). Vidéo post-op. à J15 et au 3ème
mois. Ce qui est particulièrement étonnant
ici est la persistance du nystagmus des paupières associé, ce qui semble
montrer que le recul des droits verticaux a une action mécanique et non
proprioceptive. Les vidéos pré et post-op peuvent être visualisées sur le site
du JAAPOS (réf. 7).
Cas n° 3 : Jeune homme dont le nystagmus est apparu vers l’âge de 10 ans. Nystagmus
horizontal se bloquant regard à droite. Oscillopsies modérément invalidantes et
diplopie peu gênante liée à une hostilité de fusion sans strabisme. Excellente
efficacité d’un Kestenbaum horizontal. N’a plus de nystagmus en position
primaire et disparition du torticolis. Faut-il faire un bilan
étiologique ? Eliminer au moins malformation d’Arnold Chiari (+ /-
bilan neurologique). Possibilité d’un nystagmus ‘’de type congénital
d’apparition tardive’’ (réf. 10).
Cas n° 4 : Jeune femme présentant un syndrome malformatif avec cataracte
congénitale opérée, strabisme convergent et nystagmus congénital. Apparition
d’oscillopsies invalidantes à la suite d’un accident de la voie publique à
l’âge adulte. Cela n’est pas exceptionnel et plusieurs cas de ce type ont été
décrits dans la littérature (réf. 1) avec au moins 4 cas dans ma pratique
personnelle. Nystagmus
multidirectionnel très rapide et de forte intensité. Peut-on différentier la
part acquise de la part congénitale ? Intérêt médico-légal ? Pas de
zone de blocage ni de nystagmus. Chirurgie de recul asymétrique des 4 droits
horizontaux. Très léger nystagmus résiduel mais disparition des oscillopsies
(satisfaction ++) et du strabisme. Curieusement, diminution de la part
verticale du nystagmus (mécanisme proprioceptif ?
orthotropisation ?). Passage progressif en divergence, classique après
recul des 4 droits horizontaux. Reprise chirurgicale pour l’exotropie. Très bon
résultat final sur le nystagmus et le strabisme. Comparer l’intensité
préopératoire du nystagmus et l’intensité finale.
Remarque importante : Les articles publiés dans les revues de neurologie
sont extrêmement riches en ce qui concerne la description des nystagmus acquis,
la corrélation radio-anatomo-clinique et les mécanismes neurophysiologiques. En
revanche, l’impasse est presque toujours faite sur les possibilités
thérapeutiques, lorsqu’elles ne sont pas niées. On lit encore parfois dans
certaine articles que « la chirurgie est réservée aux nystagmus
congénitaux » ou que « la chirurgie n’a pas fait ses preuves dans les
nystagmus acquis », sans citer la moindre référence. Il est vrai qu’une
étude randomisée multicentrique en double aveugle est difficilement concevable
tant les nystagmus acquis sont différents entre eux, tant les troubles oculomoteurs
associés sont divers et tant la comparaison des résultats est difficile lorsque
le nystagmus n’est pas bloqué à 100 % ou que les oscillopsies n’ont pas
complétement disparu. Nous espérons avoir montré par ces vidéos combien la
chirurgie pouvait être efficace et qu’elle devait en tout cas être tentée, même
dans les cas sans position de blocage, même dans les cas désespérés.
1)
SafranA, VighettoA, LandisT, Cabanis E.
Neuro-ophtalmologie
(rapport de la SFO). Paris: Masson; 2004.
2) Buckley SA, Elston JS.
Surgical treatment of
supranuclear and internuclear ocular motility disorders.
Eye 1997; 11 (3):377-80.
3) Schiavi C, Scorolli Campos
EC.
Surgical management of anomalous
head posture due to supranuclear gaze palsies and acquired nystagmus.
In: Spiritus Med), Transactions
of the 24th ESA Meeting. 1996. p. 229-32.
4) Spielmann AC.
Clinical and surgical approach
in 48 cases of acquired neurological nystagmus.
In: Proceedings of the 29th ESA
meeting, Izmir. 2004.
5) Shery T,
Proudlock FA, Sarvananthan N, McLean RJ, Gottlob I.
The effect of
gabapentin and memantine in acquired and congenital nystagmus: A retrospective
study.
Br J
Ophthalmol 2006;90:839-43.
6) Dawson ELM,
Murthy R, Lee JP.
Does botulinum
toxin have a role in the treatment of oscillopsia?
Neuro-ophthalmology
2007;31:73-8.
7) Spielmann
A.C.
Large recession
of the four vertical rectus muscles for acquired pendular vertical nystagmus
and oscillopsia without a null zone.
JAAPOS, à paraître en 2007 ou en 2008.
8) Lopez LI, Bronstein AM, Gresty MA, Du Boulay EPG, Rudge
P.
Clinical and
MRI correlates in 27 patients with acquired pendular nystagmus.
Brain 1996;
119:465-72.
9) Kim JS, Moon
SY, Choi KD, Kim JH, Sharpe JA.
Patterns of
ocular oscillation in oculopalatal tremor: Imaging correlations.
Neurology 2007;
68:1128-35.
10) Gresty MA, Bronstein AM, Page NG, Rudge P.
Congenital-type nystagmus emerging
in later life.
Neurology. 1991 ; 41
(5) : 653–656.