MICROSTRABISME :
ERICK LAURENT
HISTORIQUE : NAISSANCE
DU MICROSTRABISME
Il s’agit d’une entité
clinique actuellement internationalement
reconnue mais dont l ‘existence ,
la dénomination et les caractéristiques
ont été âprement discutées pendant toute la deuxième moitié du 20 ieme siècle .
Champ de bataille pour spécialistes sa diffusion auprès d’un plus large public est tardive . Hugonnier dans la quatrième édition ( 1981) de son manuel en fait seulement une brève description diagnostique , au chapitre de l’amblyopie sous le terme de «strabisme méconnu », mais sans le nommer explicitement .
Irvine 1est le premier
( ?) ; en tout cas le premier
auteur anglo-saxon ; a avoir
publié l’association amblyopie
anisométropique , scotome de neutralisation et anomalies de la fixation a
l’occasion de sa description du test de 4 dioptries base temporale (repris
ultérieurement par Jampolsky) .Il à
lancé le débat .
Suivirent de nombreux
articles « autour » de ce syndrome jetant une certaine confusion dans la
communauté strabologique mais
permettant petit a petit l’émergence
d’un tableau d’un intérêt clinique majeur : pour Lang2 40% des ésotropies et la
plupart des exotropies constantes avec
amblyopie sont des microésotropies décompensées .
La
polémique a porté sur tous les aspects du problème:
L’angle :
Strabisme ( petit angle , strabisme inapparent , minisquint ,
ultrasmall angle ) ou phorie ?(
Jampolsky3 « heterophoria »
ou Parks4 « monofixational
phoria ») . Quelle valeur angulaire maximale pour une microtropie ? 5
° pour Lang2, 10 dioptries pour Parks …,
ou est la frontière avec une ésotropie « classique » a petit
angle ? small ou ultra small ?et quel intérêt ?
Le statut binoculaire :
« Fixation disparity » ou « fusion disparity » pour
Jampolsky 5 pour qui une hétérophorie
avec une fixation non exactement bifovéolaire se transforme progressivement en
strabisme avec CRA. Crone 6 pense également qu’il
existe des formes de passage de l’orthophorie vers le microstrabisme . Mais pour Lang la CRA est primitive et
pour l’Ecole de Oggle ( qui a décrit la disparité de fixation ) la disparité
est physiologique et n’empêche pas une fusion binoculaire stable( Martens7).
la fixation de l’œil strabique :
Elle est au cœur du problème .Pour certains elle peut être normale
centrale (Lang , Parks ) pour Irvine elle est instable , variable .Helveston et
von Noorden ne reconnaissent le microstrabisme que si la fixation est
excentrique avec identité du point de fixation
et du centre de CRA.
L’étiologie :
Pour Parks8 il s’agit d’un syndrome
recouvrant de multiples étiologies : de l’amblyopie organique
orthotropique a la déviation manifeste, le point commun étant la suppression unilatérale ,la
correspondance rétinienne pouvant être normale autour du scotome de
neutralisation… Pour Jampolsky , Crone le microstrabisme est la conséquence
d’une hétérophorie entraînant suppression maculaire élargissement de l’aire de Panum et déplacement de la correspondance. Pour Helveston et von Noorden9c’est l’anisométropie qui conduit a la fixation
excentrique puis à la CRA par l’intermédiaire d’un scotome central amblyopique
.Pour Lang c’est la CRA qui est primitive et
héréditaire .
Au
total :
Sur un plan théorique il est
probable qu’il existe un continuum partant de la vision binoculaire normale avec bifixation fovéolaire passant par
la disparité de fixation au sens de Oggle puis au microstrabisme et aboutissant
au strabisme convergent classique a petit angle. Ce continuum recouvre
l’ensemble des données décrites dans la littérature et permet d’analyser chaque
cas clinique particulier. Cependant
Lang a mis le doigt sur une catégorie clinique qui est un puissant outil diagnostique permettant de simplifier
l’examen du strabisme convergent et même divergent .Il conduit a une
thérapeutique bien codifié. La microtropie ou le microstrabisme de Lang semblent donc devoir s’imposer, il est
reconnu actuellement par les plus éminents auteurs (von Noorden10, Spielmann11).
DEFINITIONS
Sont des signes constants :
L’amblyopie :
Elle est souvent modérée avec
fixation centrale mais peut être
profonde avec scotome central et
fixation excentrique surtout si il existe une anisométropie importante.
La vision de loin est assez bonne aux optotypes séparés , plus
mauvaise de près entraînant des difficultés de lecture .Le scotome
microstrabique a la lecture monoculaire et en cas de fixation fovéolaire est temporale , à droite de la
fixation ( à la fin d’un mot ) pour
l’œil droit et à gauche pour l’œil gauche (début de mot) contrairement à
l’amblyopie anisométropique ou le scotome est central .Il s’agit donc dans ces
cas les plus bénins d’un scotome du point 0 binoculaire qui persiste en vision
monoculaire sous la forme d’un scotome paracentral.
Dans l’amblyopie profonde avec
fixation excentrique le scotome microstrabique du point 0 rejoint le scotome
fovéal .
Le
diagnostic est parfois tardif chez le grand enfant ou l’adulte nécessitant un
diagnostic différentiel avec une amblyopie neurogène.
La CRA harmonieuse :
Elle
a une haute valeur fonctionnelle . Elle entraîne une fusion correcte , une
stéréoscopie pathologique mais pouvant atteindre 40’’ au Titmus .
Sont des symptomes variables :
L’angle de déviation :
Lang le chiffre au maximum a 5° . En
tous cas il est inapparent , ce qui dépend aussi de la forme du visage .
La fixation de l’œil dévié
et la relation fixation excentrique /angle d’anomalie :
Le plus souvent la fixation
est centrale parfois excentrique avec un point de fixation entre la fovéa et le
centre de localisation de la CRA plus qu’en coïncidence .
Microstrabisme
primaire et secondaire.
Le microstrabisme
primaire :
Il correspond a notre type de
description .C’est une anomalie primitive
de la correspondance rétinienne , génétiquement déterminée, stable dans le
temps grâce a la puissance de cette CRA .Mais il peut être décompensé en un
strabisme plus important par une anomalie de la convergence accomodative , un
excès ou un défaut de convergence tonique , une amblyopie ,une position
anatomique de repos anormale en particulier en convergence se traduisant par une
ésophorie (ce qui a longtemps fait méconnaître par beaucoup d’auteurs la petite
déviation manifeste associée). Une CRA même de bonne qualité est un verrou
moins efficace qu’une CRN !Il faut savoir penser a ce microstrabisme
masqué en cours de traitement d’un strabisme .
N’est qu’un strabisme a petit angle (souvent post chirurgical) la
CRA base de l’union binoculaire se crée secondairement
sur les bords du scotome fovéolaire. Les difficultés diagnostiques sont avec le
primaire décompensé . Les 2 formes sont difficilement discernable mais
valeur de l’anamnèse et plus grande
fréquence de la phorie dans le secondaire .
Il faut toujours penser au
microstrabisme :
Savoir le rechercher devant une
amblyopie qui ne fait pas sa preuve ; derrière un strabisme multifactoriel
ou il est masqué par des symptômes plus
spectaculaires comme un important excès de convergence accomodative par
exemple.
Déterminer l’œil
dominant :
par le carton troué ou la méthode de
l’index .
Le cover test unilatéral de l’œil dominant :
Fait le diagnostic si il est
positif. Il est très sensible et peut
révéler de très petits mouvements de fixation de 1 a 2 degrés .La
déviation manifeste mesurée au cover
test simultanée donne la déviation totale en cas de fixation centrale , la sous
estime en cas fixation excentrique .
S’il est négatif cela n’élimine
pas le diagnostic .Il n’y a pas de mouvement en cas d’identité entre le centre
de CRA et de fixation excentrique . Grande valeur dans ce cas de l’étude de la
fixation .
Le cover test alterné
Révèle la phorie associée .La restitution se fait
en microstrabisme . On mesure la phorie au prisme cover test alterné .
4 dioptrie base temporale
d’Irvine-jampolsky ou mieux a mon avis le biprisme de Gracis permettent l’étude du scotome de suppression . Il
s’agit certes plus de tests de dominance
que de neutralisation mais ils ont l’avantage d’être très rapide et
d’orienter la démarche diagnostique ,couplés au CTU , vers une étude soigneuse
de la fixation.
L’étude de la fixation au
visuscope
Fait le diagnostic si elle est excentrique quel que soit le
résultat des autres examens . la fixation peut bien sur être normale , centrale
.
L’étude de la correspondance anormale
Se
fait aux bagolinis : réponse en croix sur lumière de CRA harmonieuse et
mouvement au CTU
Et par l’épreuve maculomaculaire de Cüppers : angle d’anomalie plus que
centre de CRA a cause du scotome de suppression .
Les réponses sont souvent
considérées comme normales : bonne amplitude de fusion et stéréoscopie
,mais l’utilisation de toutes petites mires retrouve un AS a 0 et un AO a
2 , 3 degrés .
Le Titmus peut parfois atteindre
40’’ , le Lang est négatif .
TRAITEMENT
Contrairement a la classification nosologique et peut être malheureusement ( manquons- nous d’idées ? ) le traitement est assez consensuel .
Dans le primitif le seul traitement
connu est celui de l’amblyopie par l’occlusion .Le traitement d’entretien doit
être poursuivit longtemps jusqu'à 9-10
ans . Il aboutit a une Union Binoculaire de bonne qualité .
Certains ont proposé des traitements
prismatiques prisme inverse de Rubin12ou surcorrection prismatique de Pigassou13 avec de bons résultats mais toujours en association avec une
occlusion du bon œil qui rend difficile l’appréciation du rôle de la prismation
.
En cas de décompensation en particulier d’une phorie il faut traiter ces facteurs chirurgicalement comme dans une phorie ordinaire .
BIBLIOGRAPHIE
1 Irvine SR : a simple test for binocular
fixation :clinical application useful in the appraisal of ocular dominance
,amblyopia ex anopsia , minimal strabismus and malingering Am J Ophtalmol 27 :740,1944
2 Lang J strabisme Hans Huber Berne Stuttgart Vienne 1981.
3 Jampolsky A , Flom B , Fried
A :Fixation disparity in relation to heterophoria , Am J Ophtalmol 43 :97,1957
4 Parks M .M : Second
thoughts about the pathophysiololgy of monofixational phoria , Am . Orthopt. J 14 :159,1964.
5 Jampolsky A :Differential
diagnosis and management of small degree esotropia and convergent fixation
disparity , Am J Ophtalmol
41 :825 ?1956.
6 Crone RA :From orthophoria to microtropia
, Br .Orthopt.J 26 : 45,1969.
7 Martens TG :Remarks on fixation
disparity, Am .
Orthop.J.20 :68,1970.
8 Parks MM : The monofixational syndrome,Trans.Am.Ophtalmol.Soc.67 :609,1969.
9 Helveston EM , von Noorden GK : Microtropia
.Arch .Ophtal.78,272-281,1967.
10 Von Noorden GK, Binocular vision and ocular motility Mosby
,1984.
11 Spielmann A,Les strabismes ,Masson 1989.
12 Rubin W , Reverse prismsand calibrated
occlusion in the treatmentof small angle déviation.Am J Ophtalmol.59,271-277,1965
13Pigassou-albouy
R, les strabismes Masson ,1992