Maladie de Basedow et troubles oculomoteurs

Hélène COHEN – Marseille

 

Les troubles oculomoteurs de la maladie de Basedow sont la conséquence de l’orbitopathie dysthyroïdienne, encore appelée ophtalmopathie ou encore exophtalmie basedowienne. Il s’agit d’une affection auto-immune, liée à la production d’anticorps dirigés contre les structures rétro-oculaires de l’orbite, notamment les muscles oculomoteurs. Elle est souvent associée : environ 40% des cas, mais de façon habituellement discrète et ne représente une complication grave que dans 5 à 10% des cas. Elle nécessite alors un traitement au stade séquellaire de l’affection. Sur le plan historique, les premières descriptions de la maladie sont dues à Graves en 1835 et à Basedow en 1840.

 

L’atteinte thyroïdienne est :

-         La maladie de Basedow dans la majorité des cas (85 à 90%)

-         Mais il peut s’agir aussi d’une thyroïdite auto-immune (5 à 10%) ou

-         D’une dysthyroïdie sans signe clinique : syndrome de Means (5%) ; il existe une hyperthyroïdie dans 90% des cas, exceptionnellement une hypothyroïdie ou un état euthyroïdien.

L’orbitopathie ou ophtalmopathie survient :

-         Le plus souvent, en même temps ou

-         Après l’atteinte thyroïdienne (en moyenne 3 ans)

-         Rarement avant.

Il s’agit d’une atteinte auto-immune qui peut évoluer de façon autonome et menacer la fonction visuelle lorsqu’elle est sévère.

L’âge de survenue est 45 ans en moyenne avec deux pics de fréquence entre 40 et 50 ans et entre 60 et 70 ans  .

Il existe une prépondérance féminine 86% et une gravité accrue chez l’homme.

On retrouve des ATCD de pathologie thyroïdienne familiale dans 30% des cas.

La fréquence de l’orbitopathie est de 16 cas pour 100 000/an pour les femmes et de 2 cas pour 100 000/ans pour les hommes aux USA.

On dénombre 30 à 40% d’orbitopathie parmi les hyperthyroïdiens, dont 5 à 10% de formes sévères.

 

 

Classifications sémiologiques de référence cliniques et radiologiques :

Elles permettent :

-         D’évaluer la gravité de l’affection.

-         De caractériser l’atteinte de chaque patient, en s’aidant de l’imagerie.

-         De poser les indications thérapeutiques.

 

Classification clinique : NOSPECS

Werner 1969, American Thyroid Association

Classe                                                                 Signes cliniques, grade

0        Pas de signe clinique

1        Rétraction palpébrale, asynergie oculopalpébrale isolée

2        Infiltration des tissus mous :

grade 0, a, b, c : absent, minime, modéré, marqué              

3        exophtalmie

(à partir de 3 mm de plus que la protrusion normale au Hertel 15,4 mm chez la femme blanche, 16,5 chez l’homme blanc)

0 : absent

a : 3-4 mm au dessus de la limite

b : 5-7 mm au dessus de la limite

c : 8 mm ou plus

 

4        Déficit oculomoteur – diplopie

: absent

a : limitation modérée

b : limitation importante

c : globe fixé

 

5        Atteinte cornéenne (lagophtalmie)

: absente

a : piqueté

b : ulcération

c : opacité, nécrose, perforation

 

6        Baisse d’acuité visuelle par neuropathie

: absente

a : pâleur papillaire ou amputation du champ visuel avec acuité entre 3 et 10/10

b : acuité de 1 à 3/10

c : acuité 1/10 amaurose

Classification radiologique : GEMEN

Cabanis 1980

Fonction des signes au scanner et à l’IRM

 

-         Graisse

: volume normal

1 : volume augmenté

1 intra/extra-cone

1 hétérogénéité

Total max 4

 

-         Exophtalmie

-         Déterminée dans le plan PNO :

(position  du pôle postérieur par rapport au plan bicanthal externe)

-         Indice oculo-orbitaire

0         : absence

1         : grade I pôle postérieur en arrière du plan bicanthal externe

2          : grade II pôle postérieur dans le plan bicanthal externe

3          : grade III pôle postérieur en avant  du plan bicanthal externe

 

-         Muscle

Œdème, infiltration centro-musculaire, fibrose 1 à 4 nombre de muscles

Degré lésion 1 à 6

Total max 24

 

-         Ethmoïdes

: rectiligne

1 : incurvé

Total max 1

 

-         Nerf optique

: diamètre normal

1 : diamètre +/-

Total max 1

 

-         Total max

32 unilatéral, 64 bilatéral

 

Ces classifications permettent :

-         D’apprécier la gravité des principaux signes cliniques et radiologiques de l’orbitopathie

-         De juger de son évolution

-         De poser les indications thérapeutiques

L’évolution se fait dans le sens d’une aggravation et l’on note sur un suivi de 10 ans que :

-         La rétraction palpébrale passe de 70 à 90% des cas

-         La diplopie de 20 à 43% des cas

-         La neuropathie optique de 2 à 6% des cas

-         L’exophtalmie de 53 à 62% des cas

 

Dans l’orbitopathie, la fréquence de l’atteinte oculomotrice avec diplopie est d’environ 40% des cas avec pratiquement 100% d’augmentation du volume des muscles oculomoteurs au stade inflammatoire.

Elle représente la classe IV de Werner.

Cette myopathie Basedowienne évolue en 2 stades :

-         Infiltration oedémateuse initiale

-         Fibrose consécutive avec rétraction et impotence musculaire.

Elle est associée aux modifications de la graisse orbitaire ; le gonflement des muscles et /ou l’augmentation du compartiment graisseux orbitaire, entraînent une augmentation du volume du contenu orbitaire, responsable de l’exophtalmie.

L’impotence musculaire :

S’explique par la diminution de l’extensibilité et de la contractilité musculaire et l’augmentation du volume orbitaire ;

-         C’est une myopathie restrictive avec limitation du champ moteur opposé au muscle atteint

-         A la parésie du muscle concerné s’ajoute l’hypo extensibilité et son antagoniste.

 

Les muscles atteints sont :

-         Le droit inférieur dans 60 à 80% des cas

-         Le droit médial dans 25 à 44% des cas

-         Le droit supérieur dans 6 à 10% des cas

-         Exceptionnellement les droits latéraux

-         Les obliques seraient épargnés , en réalité leur atteinte est possible

-         Cette fréquence d’atteinte variable reste inexpliquée.

L’épaississement musculaire est :

-         Bilatéral

-         Asymétrique

-         Il concerne l’ensemble mais surtout la partie centrale du muscle, épargnant le tendon.

Les altérations musculaires sont en général plus importantes que ce que la clinique laissait prévoir, mais il n’y a pas de parallélisme anatomo-clinique.

-         L’atteinte du droit inférieur, la plus fréquente, s’accompagne d’une diplopie verticale avec hypotrophie, pseudo-paralysie du droit supérieur

-         Le test de duction forcée confirme la myopathie restrictive, en montrant l’absence d’élévation du globe

On note une augmentation de la pression oculaire dans le regard vers le haut.

 

L’atteinte bilatérale des deux droits inférieurs entraînent une pseudo paralysie de la verticalité.

L’atteinte du droit médial entraîne une pseudo paralysie du VI avec ésotropie et déficit d’abduction.

L’association d’un trouble oculomoteur et d’un ptosis doit faire évoquer une myasthénie associée.

 

Traitement des désordres oculomoteurs

Il est réalisable chez :

-         Un patient euthyroïdien

-         Avec une exophtalmie réduite à moins de 26 mm

-         Une stabilité des troubles oculomoteurs depuis au moins 6 mois, quoiqu’on ne soit jamais à l’abri d’une reprise évolutive ultérieure.

Il s’effectue donc au stade séquellaire de l’affection, après le traitement médical de la maladie de Basedow et de l’orbitopathie, avec par ordre chronologique :

-         La chirurgie orbitaire de décompression osseuse et/ou la lipectomie orbitaire

-         La chirurgie oculomotrice

-         La chirurgie palpébrale et la blépharoplastie esthétique

 

Le but du traitement est de supprimer la diplopie en position primaire et de près.

Les choix opératoires sont basés :

Sur des techniques d’affaiblissement du muscle hypoextensible

-         Recul avec refixation sclérale ou sur anse

-         Après avoir effectué un test de duction forcée afin d’évaluer l’hypoextensibilité du muscle

-         Le dosage opératoire est discuté : on propose en général 3 dioptries par mm de recul pour les droits verticaux et 2,5 dioptries par mm de recul pour les droits horizontaux mais reste aléatoire.

-         Il faut effectuer de grands reculs de façon à recentrer a position du globe en per-opératoire

-         Le recul réglable pourrait pallier à ce problème de l’incertitude du dosage opératoire mais l’angle à corriger doit être inférieur à 10° et il existe cependant un risque de surcorrection tardif car l’effet opératoire augmente légèrement au cours des premiers mois

-         L’ajustement doit viser une légère sous correction

Le renforcement de l’antagoniste :

-         Par plicature plutôt que résection (contre indiquée pour certains) est souvent nécessaire/mm opéré

-         Lorsque l’angle est supérieur à 10°

-         On réalise alors une intervention combinée unilatérale dont l’effet opératoire est de 2°/mm opéré pour les droits verticaux et de 1,6°/mm pour les droits horizontaux.

Certaines techniques sont déconseillées sur ces muscles impotents :

-         L’injection de toxine botulique

-         L’ancrage postérieur

Effets indésirables :

-         Modification de la statique palpébrale

-         Augmentation de l’exophtalmie par les grands reculs

-         Incomitance dans le regard vers le bas lors du grand recul d’un droit inférieur

-         Sous corrections immédiates

-         Surcorrections immédiates ou plus tardives

 

Conclusion

La chirurgie oculomotrice de l’orbitopathie basedowienne est réalisable chez un patient euthyroïdien après 6 mois de stabilité des troubles oculomoteurs et sera réalisée après la chirurgie osseuse de décompression orbitaire si elle est nécessaire et avant la chirurgie palpébrale et cosmétique.