Fractures de l’orbite et troubles oculomoteurs

Hélène COHEN – Michelle DUFLANC

 

Une fracture de l’orbite peut être isolée ou complexe dans le cadre des traumatismes orbito-faciaux et crâniens. Un abord multidisciplinaire est nécessaire et fait appel à l’ophtalmologie, la radiologique, la chirurgie maxillo-faciale, voire la neurologie.

Les troubles oculomoteurs au décours des fractures de l’orbite, peuvent correspondre à plusieurs mécanismes :

-         Neurogène

-         Mécanique (les plus fréquents)

-         Sensoriels

La prise en charge des atteintes oculomotrices se posera de façon initiale, secondaire ou tardive en fonction du traumatisme, avec la règle d’opérer l’orbite en premier et de faire la chirurgie oculomotrice en cas de diplopie résiduelle après six mois, en dehors de l’urgence que représentent les fractures en trappe de l’enfant.

 

Physiopathologie

Toutes les parois osseuses orbitaires peuvent être fracturées :

Les fractures du plancher de l’orbite sont les plus fréquentes : ce sont les os les plus fins qui sont concernés : partie interne du plancher (os maxillaire) et planum ethmoïdal.

Le complexe droit inférieur-oblique inférieur  est fréquemment touché : il s’agit rarement d’une atteinte nerveuse ou sensorielle (décompensation d’une hétérophorie), bien plus souvent d’une atteinte mécanique qui peut correspondre à plusieurs causes :

-         Transitoires liées à l’œdème, aux hématomes

-         Permanentes

è    par incarcération des tissus mous dans le plancher : pincement des fascias orbitaires et de la graisse, exceptionnellement du muscle.

è    Par fibrose musculaire qui peut s’installer rapidement, irréversible et de mauvais pronostic

è    Plus rarement par lésion directe avec lacération musculaire.

La fracture de la paroi interne peut être isolée ou associée à une dislocation orbito-nasale ; elle peut être associée à une fracture du plancher dans 33 à 71% des traumatismes par blow-out dont les signes cliniques sont alors prédominants, et peut incarcérer le droit médial, les fascias ou la graisse orbitaire.

Les fractures de la paroi externe concernent le plus souvent les 3 sutures frontale, zygomatique ou maxillaire ; elles sont elles aussi souvent associées aux fractures du plancher et du sinus maxillaire.

La fracture du toit orbitaire est le plus souvent associée dans le cadre des fractures fronto-orbitaires dans le cadre des urgences neurochirurgicales.

Le globe oculaire peut être déplacé dans le sens

è    Antéropostérieur :

Enophtalmie : par recul du globe, sur volumineuse fracture touchant plus de la moitié de la surface du plancher, prolapsus de la graisse dans le sinus maxillaire, incarcération du droit inférieur ou de la graisse ou fracture associée de la paroi interne exophtalmie

è    Vertical :

Avec ptôse du globe qui se voit dans les grosses fractures avec effondrement du plancher

è    Horizontal :

Avec déplacement d’un canthus dans les fractures des parois externes et internes.

 

Clinique

 

La symptomatologie associe :

 

Dans les fractures du plancher

-         Une diplopie caractéristique avec hypotropie de l’œil atteint dans le regard vers le haut et une hypertrophie dans le regard vers le bas.

-         Une énophtalmie et/ou une ptôse du globe

-         Des signes secondaires

è    Hypoesthésie dans le territoire du nerf sous-orbitaire

è    Hématome secondaire des paupières

è    Emphysème conjonctival

 

Dans les fractures de la paroi interne de l’orbite

-         Soit isolée par « blow out » avec diplopie horizontale, épistaxis, emphysème sous cutané périorbitaire, limitation de l’adduction d’autant plus importante que l’incarcération est postérieure par rapport à l’équateur du globe, abduction très limitée avec pseudo paralysie de Stilling Duane

-         Soit associée dans une dislocation orbito-nasale par choc direct : empâtement de la racine du nez, position du canthus, espace intercanthal supérieur à 35 mm.

 

Dans les fractures de la paroi externe de l’orbite

-         Décalage au niveau des 3 sutures, aplatissement de la pommette, abaissement de l’angle externe et de la fente palpébrale.

 

Dans les fractures de la paroi supérieure de l’orbite rarement isolées.

 

 

 

Un bilan ophtalmologique et radiologique s’impose :

 

-         Ophtalmologique :

Acuité visuelle, lampe à fente, fond d’œil, champ visuel, éliminer une plaie du globe associée.

 

-         Oculomoteur :

Analyse de la diplopie au verre rouge, coordimétrie : test de Lancaster ou Hess-Weiss, test de duction forcée : normal dans une paralysie neurogène, limité dans une atteinte mécanique.

 

-         Radiologique :

è    Examens radiologiques standards (incidence de Waters, Caldwell, profil), on recherchera un prolapsus des tissus orbitaires dans le sinus maxillaire, un hémosinus, un emphysème orbitaire, corps étranger …

è    Le scanner orbito-cérébral

Est l’examen de choix avec des coupes fines, multiples passant par le nerf optique (PNO) dans le plan coronal, sagittal, axial, des reconstructions en trois dimensions dans les fractures complexes.

è    L’IRM

Son utilisation est limitée en traumatologie du fait de la mauvaise définition des tissus osseux. Les coupes sagittales donnent un diagnostic précis de l’état d’incarcération des parties molles. Elle est contre indiquée en cas de doute sur un corps étranger métallique.

 

Traitement des troubles oculomoteurs dans les fractures de l’orbite

 

Indications opératoires de la fracture de l’orbite

 

            Dans les fractures du plancher :

-         Eléments à prendre en compte

a)      Diplopie persistante par incarcération de tissus dans le foyer de fracture

b)      Enophtalmie supérieure à 2 mm au Hertel

c)      Fracture supérieure à la moitié de la surface du plancher surtout si associée à une fracture de la paroi interne

d)      Ptôse du globe

e)      Fracture – disjonction du malaire déplacée

f)       L’hypoesthésie du nerf sous orbitaire n’est pas une indication opératoire : elle est due à une compression ou un œdème et régresse en 3 à 6 mois.

g)      Faut-il opérer les fractures du plancher s’il n’existe pas de diplopie ?

Il n’y a pas de diplopie tardive sur une fracture non opérée, mais l’intervention dictée pour des raisons cosmétiques peut engendrer une diplopie transitoire ou permanente par « pseudo paralysie du droit inférieur » au contact d’un implant trop épais ou trop postérieur.

 

 

 

Date de l’intervention

Dans les fractures récentes, l’intervention chirurgicale doit être réalisée rapidement dans les 5 à 15 jours qui suivent l’accident, au maximum 3 semaines après, sauf dans les fractures en trappe qui constituent une urgence, surtout chez l’enfant.

En effet, les fractures en trappe s’accompagnent d’une petite incarcération qui risque d’évoluer rapidement vers l’ischémie, puis vers la fibrose musculaire ;

C’est une chirurgie différée de moins de 15 jours, sauf chez l’enfant.

 

Dans les fractures anciennes, la chirurgie orbitaire peut être indiquée :

-         Pour corriger une déformation orbitaire, une énophtalmie, en prévenant le patient du risque de diplopie secondaire

-         S’il existe des troubles oculomoteurs isolés.

Quelque soit le cas de figure, la chirurgie orbitaire est faite en premier et la chirurgie oculomotrice secondairement.

 

            Dans les fractures de la paroi interne

-         Diplopie persistant après 15 jours

-         Motilité oculaire douloureuse avec rétraction du globe

-         Emphysème orbitaire et hémorragie rétro-bulbaire

-         Fracture associée du canal optique

-         Enophtalmie

 

Dans les fractures de la paroi externe

Dans les fractures du toit

-         Fracture déplacée

-         Entre 7 et 14 jours en fonction de l’état du blessé

 

Indications chirurgicales des troubles oculomoteurs

 

Généralités

Le but du traitement est de retrouver une orthophorie en position primaire et en bas. Le plus souvent 3 à 6 mois après la chirurgie osseuse.

Dans l’intervalle un traitement médical est entrepris par secteurs ou prismes.

 

 

Indications :

S’il y a eu chirurgie orbitaire :

Soit il persiste un trouble oculomoteur permanent et il faut rechercher par l’imagerie s’il existe une anomalie du contenu (fibrose musculaire) et du contenant (incarcération résiduelle),et la chirurgie oculo motrice est indiquée après 6 mois.

Soit le  traitement orbitaire a engendré une diplopie, le plus souvent apres une chirurgie du plancher de l’orbite avec pseudo paralysie du droit inférieur ,liée à un implant trop postérieur ou trop épais ,il faut donc contrôler l’imagerie avant de proposer un simple attente, une révision orbitaire, ou une chirurgie oculomotrice.

 

S’il n’y a pas eu une chirurgie orbitaire :

-         Il existe une énophtalmie ou une dystopie orbitaire : la chirurgie orbitaire est indiquée avec souvent amélioration oculomotrice ; sinon une chirurgie musculaire est indiquée.

-         Il n’existe pas d’énophtalmie mais simplement une diplopie :

è    Si le test de duction est positif, une exploration orbitaire est indiquée +/- associée à une chirurgie oculomotrice dans le même temps ou au mieux différée.

è    Si le test de duction est négatif la chirurgie oculomotrice est indiquée.

Principes chirurgicaux

-         Il s’agit d’une chirurgie itérative, en une ou deux étapes :

è    Chirurgie de l’œil pathologie puis de l’œil sain dans les déficits importants.

è    Chirurgie de l’œil sain dans les déviations petites et moyennes, mais ce n’est pas un dogme et le choix des muscles à opérer est dicté par la clinique, le test de duction forcé, le test de Lancaster.

-         La chirurgie réglable présente un très grand intérêt car il existe souvent une fibrose musculaire associée.

-         La myopexie rétro équatoriale par le fil de Cuppers peut avoir un intérêt pour freiner l’hyperaction des synergistes controlatéraux.

-         Lorsqu’il existe un trouble de la verticalité associé à une anomalie de l’horizontalité, on opère d’abord la verticalité, l’anomalie horizontale pouvant être une simple décompensation sensorielle.

-         Ne pas négliger la possibilité d’atteinte du droit médial dans les fractures de la paroi interne associée aux fractures du plancher.

 

Conclusion

Dans les fractures de l’orbite, la chirurgie osseuse orbitaire doit être réalisée en premier, la chirurgie oculomotrice n’est envisagée que dans un deuxième temps en cas de diplopie persistante après 6 mois, en visant l’orthophorie en position primaire et dans le regard vers le bas.

 

Bibliographie :

B, Kushner, paresis and restriction of the inferior rectus muscle after orbital floor fracture. American Journal Of Ophtalmology, 94: 81-86, 1982

S Morax, D Pascal, traitement chirurgical des diplopies secondaires aux fractures du plancher de l’orbite, J.Fr. Ophtalmol., 1984, 7, 10, 633-647

X Morel, la fracture du plancher de l’orbite en 1997, Réflexions ophtalmologiques, T2-N°7 – mai 1997

J.P. Adenis, S Morax, Pathologie orbito-palpébrale, rapport de la SFO 1998