PRISE EN CHARGE DES EXOTROPIES CHRONIQUES PRIMITIVES ET SECONDAIRES CONCOMITANTES DE L’ADULTE.

                                              

Catherine Duncombe

 

 

Elles regroupent :

à        les exotropies primitives intermittentes

à        les exotropies sensorielles ou secondaires à une cause connue (amblyopie, pathologie oculaire médicale ou traumatique, …)

à        les exotropies consécutives à une ésotropie de l’enfance (souvent des ésotropies accommodatives avec hypermétropie forte compliquée d’amblyopie fonctionnelle unilatérale mais aussi des ésotropies précoces avec anisométropie d’apparition progressive )

à        Les exotropies précoces les moins fréquentes. 

 

La déviation est concomitante, à l’inverse des paralysies et des syndromes de restriction ; elle peut être variable voire instable, accentuée dans certaines positions du regard, strictement horizontale ou associée à une déviation cycloverticale.

 

Au total des tableaux oculomoteurs variés et des contextes très différents tant dans leur circonstance d’apparition que dans leur statut sensoriel mais dont on dégage cependant des points communs cliniques et thérapeutiques.

 

Les signes qui amènent à demander un avis chirurgical témoignent de la décompensation progressive :

à        la déviation qui s’accentue et/ou devient de plus en plus fréquente    

à        Les signes d’asthénopie qui traduisent la difficulté à maintenir la fusion motrice et la diplopie : difficulté à la conduite (de nuit le plus souvent), au travail sur écran, photophobie, céphalées qui amènent à consommer de plus en plus de médicaments antalgiques, douleur oculaire ou sensation de tension douloureuse du globe, douleur péri orbitaire, conjonctivite à répétition, sensation d’œil sec

à        la perte du goût pour la lecture ou les travaux manuels, la dégradation de la qualité de vie parfois source d’une grande souffrance

à        Le ressenti esthétique du regard : difficulté à regarder les autres en face, gêne lors de la conversation, mauvaise image de soi 

à        Certains signes indirects : l’avis strabologique est demandé en seconde intention : ptôsis partiel lié au clignement palpébral répété, affaissement du sourcil, blépharochalasis asymétrique, voire tendance au blépharospasme.

 

Le début de la prise en charge est le réajustement de la compensation optique avec  cycloplégie au cyclopentolate souvent nécessaire et port de la nouvelle correction optique en moyenne 2 mois avant nouvel examen si les lunettes avaient été abandonnées ou les verres sous corrigés ; au besoin proposition et adaptation de lentilles de contact en particulier chez le myope et l’anisométrope, les hypermétropes forts.

La compensation de la presbytie qui est une circonstance particulière de décompensation des strabismes chez l’adulte est testée avec soin.

 

L’examen : quelques points soulignés

 

à        Les antécédents : du strabisme lui-même : depuis quand est-il connu ? Combien de séances de rééducation orthoptique ?

(Des photos d’enfance peuvent aider au souvenir d’une ésodéviation oubliée)

 

à        La prise médicamenteuse fréquente : antalgiques, antidépresseurs, antiépileptiques, cardio-vasculaires ?

 

à        Le comportement visuel est apprécié lors de la lecture les deux yeux ouverts des optotypes de loin et de près ; le patient a-t-il conscience de la déviation ? Rattrape-t-il à la demande avec une mémoire motrice spectaculaire ? Se crispe-t-il sur les lignes d’optotypes ?  Signale-t-il une diplopie sur les lignes d’optotypes plus fins ? Ou ignore-t-il la dérive en divergence du fait de la neutralisation ? Adopte-t-il une attitude tête en arrière ? Voit-il mieux en monoculaire qu’en binoculaire ?

 

à        Le cadre orbitaire, les fentes palpébrales, les paupières : écart, asymétrie, orientation

(dans les cas de dysmorphie faciale et de forte myopie l’imagerie orbitaire permet de visualiser les globes et les muscles oculomoteurs. Les scanners de dernière génération permettent des coupes aussi fines que l’IRM).

 

à        L’angle de déviation maximum doit être obtenu ; par l’observation du patient, aux prismes, éventuellement après une courte occlusion.

La déviation peut apparaître plus importante en vision de près chez l’adulte qui accommode moins que l’enfant. Cette fausse incomitance ne doit pas être un piège.

Chez les hypermétropes forts l’angle peut sembler majoré ou plus visible avec les lentilles de contact.

A la déviation horizontale peut être associée une déviation cycloverticale : DVD, dysfonctionnement d’un oblique (dont le rôle dans la pathogénie de l’exodéviation n’est pas élucidé) avec torsion subjective et objective à rechercher. La torsion est un obstacle majeur à la fusion.

 

à        L’œil dominant ; l’œil qui dévie peut-être l’œil viseur avec des tentatives permanentes de redressement de la déviation.

 

à        Les éventuelles anomalies du champ visuel sont reprécisées 

 

La préparation à la chirurgie

 

Les strabismes divergents concomitants de l’adulte représentent environ 20% des interventions oculomotrices sur une année. Ils sont de plus en plus nombreux à demander une solution chirurgicale à leur symptomatologie invalidante.

La préparation est recommandée. Elle permet une fois la déviation compensée artificiellement d’étudier la vision binoculaire tout en appréciant la demande et la motivation du patient.

Et si le risque de diplopie post opératoire ne doit pas être un obstacle à la prise en charge chirurgicale elle mérite d’être expliquée au patient.

 

Sa durée est d’environ deux mois.

 

Dans les cas d’exotropies intermittentes : port de la compensation prismatique totale (avec au maximum 2 x  20     base nasale) le soir à la maison au moyen de prismes press-on au besoin installés sur une deuxième paire de lunettes. La récupération d’une union binoculaire est la règle.

Dans les cas avec forte neutralisation possibilité de prisme unilatéral dans un premier temps.

Certains intermittents compensent tellement que l’interposition des prismes lors d’un premier essai provoque des à coups de convergence. Peu à peu la situation motrice s’améliore, l’hypermétrie disparaît et l’étude de la vision binoculaire devient possible.

 

Les normosensoriels peuvent être très difficiles à «décompenser ». Si un seul prisme est toléré sans diplopie l’intervention est souhaitable en deux temps : recul d’un droit latéral puis après une nouvelle étape préparatoire du droit latéral controlatéral. On est parfois surpris sur des petites exodéviations de départ de l’ordre de 15 à 18 dioptries de reculer les deux droits latéraux de 7/8 mm.

Il y a dans ces cas un risque réel d’ésotropie consécutive.

On peut parfois temporiser avec des petits prismes incorporés de 4 à 5 dioptries.

 

L’acte chirurgical

 

La chirurgie est le plus souvent bilatérale sur les deux droits latéraux.

La  table de Parks et Mitchell donne de bonnes indications sur la quantité de recul à effectuer.

 Dans les cas de forte exodéviation > 45     se discute le pli d’un droit médial voire des deux si la divergence atteint 60 dioptries.

L’existence d’une excyclotorsion associée est l’indication de recul des obliques inférieurs. 

L’amblyopie profonde unilatérale est plus souvent l’indication d’une chirurgie unilatérale. Cependant une action bilatérale peut-être nécessaire et est acceptée par le patient au besoin lors d’un deuxième temps.

La chirurgie réglable peut-être un appoint.

Les exotropies congénitales sont en règle opérées plus tôt dans la vie ; La DVD peut être compensée par le seul recul des droits latéraux. Elle ne nécessite pas toujours une action chirurgicale associée.

 

L’avenir postopératoire

 

« Source de satisfaction si espoir raisonnable »

 

Le pronostic sensoriel dépend évidemment du contexte initial.

Il y a amélioration dans la presque totalité des cas avec dans l’ordre fonctionnel :

à        Disparition de la diplopie (dans l’espace et au test de Worth)

à        Développement de la fusion motrice

à        Union binoculaire

à        Fixation bifovéolaire au test biprismatique de Gracis

à        Stéréoacuité

 

La récupération d’une vision binoculaire confortable se traduit dès le lendemain de l’intervention par la disparition de céphalées et ceci même si une diplopie induite perdure quelques jours voire quelques semaines.

 

La diminution de l’étendue du champ visuel (vision panoramique) est peu signalée à l’inverse d’une plus grande assurance lors de la conduite.

Pas de rééducation orthoptique (mais nécessité d’une orthoptiste confirmée en strabologie pour le bilan, la préparation et le suivi).

La prescription de verres progressifs est (ré)envisageable.

 

La persistance ou la réapparition d’une petite exodéviation dans le regard au loin dans les cas d’exotropies secondaires est la règle.

Les ésotropies consécutives sont exceptionnelles ; elles sont à craindre chez les normosensoriels très symptomatiques du fait de leur trop grande capacité à compenser. 

 

A signaler un cas de myasthénie révélée plusieurs mois après l’intervention chez un homme de 65 ans porteur d’une diplopie liée à une exotropie intermittente «apparue » tardivement.

 

 

 

 

 

 

 

REFERENCES

 

Strabismes de l’adulte : osons les opérer ! A.C.Spielmann, A. Spielmann BSOF. 2000, vol.C 113-115.

 

Strabismes de l’adulte M.Urvoy et coll. EMC ophtalmologie, 21-550-A-25, 1994, 5p.

 

The management of strabismus in adults ; clinical characteristics and treatment. Beauchamp G.R. and coll. JAAPOS 2003 ; 7 ; 233-240.

 

Exodeviations in “Binocular vision and ocular motility” Von Noorden 5th edition p341-359.

 

Lunettes de Gracis, prismes press- on et test d’adaptation prismatique. Catherine Duncombe. Journal français d’Orthoptique n°34, 2002.

 

Ce que peut apporter l’adaptation prismatique en préopératoire : à propos de 3 cas de strabisme divergent primitif de l’adulte. Martine Dennebouy, Catherine Duncombe. Journal Français d’Orthoptique, à paraître.