Dysfonctions congénitales de l’oblique supérieur 

Heimo Steffen WURSBURG

 

 

 

Synonymes:

-          parésie de l'oblique supérieur congénital

-          strabisme sursoadducteur,

-          anglo-saxons 'congenital fourth nerve palsy

 

La dysfonction congénitale de l’oblique supérieur n’est pas une variante congénitale d’une parésie acquise de l’oblique supérieur. Ce n’est qu’à a première vue que cette entité clinique ressemble à une parésie acquise. Les deux conditions ont en commun par ex. Une inclinaison de la tête sur le côté non affecté est une manœuvre de Bielschowsky positive. Les tableaux cliniques de dysfonction congénitale de l’oblique supérieur et de parésie acquise sont  bien différents.

La dysfonction congénitale de l’oblique supérieur se manifeste après une période plus ou moins longue de compensation. Les sujets atteints ont souvent une bonne vision binoculaire et ne sont pas conscient de leur inclinaison de tête sur le côté non-atteint, souvent présent depuis l’enfance.  La décompensation se manifeste souvent par une diplopie verticale graduelle qui peut être absente dans certains cas.  La diplopie n’est presque jamais torsionnelle. Une asthénopie, s’aggravant le soir, peut compléter le tableau clinique.

 

 

Hypothèses sur l’étiologie des dysfonctions congénitales de l'oblique supérieur.

Les Hypothèses étiologiques  des dysfonctions congénitales de l'oblique supérieur sont de caractère plus ou moins spéculatif et sont strictement limitées à des pathologies d’origine oculaire. Cela induit qu’un bilan neuroradiologique  -indispensable dans les parésies acquises- est inutile dans les dysfonctions congénitales. Les hypothèses les plus souvent discutées sont les suivantes :

 

1  parésie oculaire congénitale ou précoce.

2.absence d'un ligament inhibant physiologiquement la contraction de l'oblique inférieur. Ce manque d'inhibition conduirait à une hyperfonction de l'oblique inférieur, se manifestant avec une élévation accentuée en adduction du globe : ‘hyperfonction primaire de l'oblique inférieur' d‘après Bielschowsky

3.      Variabilité de l'insertion des muscles obliques. (théorie de sagitalisation de Gobin: Si l'angle entre la direction de l'oblique supérieur et l'axe du globe est nettement plus grand que l'angle entre la direction de l'oblique inférieur et l'axe du globe, l'élévation, comme fonction secondaire du petit oblique, sera plus grande que l'abaissement secondaire du grand oblique. En même temps l'excycloduction -fonction primaire du petit oblique- serait réduite par rapport à l'incycloduction du grand oblique qui, elle, serait augmentée.  Le résultat d'une telle interaction serait un strabisme sursoadducteur avec une incycloduction. L'expérience par contre nous montre qu'un strabisme sursoadducteur est en général associé à une excycloduction.

4.      Hypothèse d'un effet de poulie : Il est postulé que le droit supérieur pourrait exercer un effet de poulie sur le grand oblique ce qui changerait l'axe de traction de ce muscle. Il en résulterait une augmentation de la fonction d'abduction. Si la force musculaire reste constante une telle augmentation de l'abduction serait associée à une diminution des autres fonctions du grand oblique. Si la fusion est bonne ce déséquilibre musculaire est bien compensé. Par contre si la qualité de la fusion diminue, le système peut décompenser. En effet nous observons souvent la décompensation d'un strabisme sursoadducteur a un certain âge. L’affirmation selon laquelle le strabisme sursoadducteur aurait une origine mécanique qui est compensée par la fusion est soutenue par l'observation suivante : une interruption de la vision binoculaire par occlusion chez des personnes normales a comme résultat une motilité de l’œil occlus qui ressemble à un strabisme sursoadducteur.

5.      La dernière hypothèse qui explique l'origine d'une décompensation d'un trouble oblique a récemment été présentée par Joe Demer et collaborateurs. Ce groupe a montré à l'aide de l’IRM, que chez des patients avec un strabisme sursoadducteur  il y avait une dislocation des poulies. Les poulies  représentent des tuyaux fibro-musculaires qui s'étendent de l'origine du muscle jusqu’à l'équateur du globe et dans lesquels glissent les muscles oculomoteurs. S’agissant du strabisme sursoadducteur, nous ne savons pas si le déplacement des poulies en est la cause ou la conséquence. (Cette hypothèse a déjà présentée par Jean Bernard Weiss dans les Bulletins de la SFO en 1966, où il a décrit les syndromes alphabétiques comme conséquence dune cyclotropie)

 

Diagnostic clinique

L’histoire de la maladie et la mesure des angles strabiques en position primaire et dans les positions secondaires permettent de confirmer (ou de rejeter) le diagnostic  d’anomalie congénital de l’oblique supérieur dans la majorité des cas. L’analyse des angles strabiques dans les différentes positions diagnostiques du regard est indispensable au diagnostic positif et différentiel : La répartition des déviations verticales et des déviations torsionnelles sont caractéristique dans les dysfonctions congénitales de l’oblique supérieur (est aussi dans les parésies acquises).

L’examen le plus facile et le plus complet est probablement l’examen à la paroi de Harms, qui permets la mesure simultanée des angles verticaux, horizontaux et torsionnels dans les différentes directions du regard.

 

La paroi tangentielle de Harms :

Cette méthode, basée sur le principe de la confusion, à comme seule préalable une correspondance rétinienne normale, ce qui est le cas dans la majorité des parésies acquises et congénitales. Un verre rouge foncé est tenu devant l’œil fixant qui ne voit ainsi que la lumière au centre de la paroi, le reste est invisible. Avec un pointeur vert qui est uniquement perçu par l’œil non-fixant il pointe le lieu de la paroi où est perçu le point rouge. La distance entre la lumière centrale et l'endroit sur lequel le pointeur vert est localisé indique la grandeur de la déviation.

Comment mesurer la cyclotropie ? L’objet de fixation n’est plus une lumière ponctuelle mais une ligne lumineuse blanche. Cette ligne lumineuse peut être orientée par une commande électrique et parcours les graduations d’un rapporteur. L’œil couvert du verre rouge sombre perçoit exclusivement une ligne lumineuse rouge. L’autre œil est ouvert et perçoit l’environnement. On demande au patient de faire abstraction de la ligne blanche et de placer la ligne rouge perçue oblique à l’horizontale, au moyen de la commande électrique. La torsion se lit alors directement sur le rapporteur de la paroi.

 

 

Exemple d'un examen à la paroi tangentielle de Harms chez un patient avec une parésie de l'oblique supérieure congénitale de l’œil l droit :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Pour chaque direction visuelle on obtient trois chiffres. Le chiffre de gauche indique la déviation horizontale avec un 'D' pour divergent et 'C' pour convergent. Le chiffre dans le quadrant droit représente la déviation verticale et le troisième chiffre en dessous des deux autres caractérise la cyclotropie avec les lettres 'ex' pour excyclotropie et 'in' pour incyclotropie.

 

La déviation verticale qui est plus accentuée en cas de  trouble congénitale qu’en cas de parésie acquise montre une répartition relativement concomitante de haut en bas. La déviation verticale est maximum en adduction et minimum en adduction de l’œil atteint. Dans les parésies acquises, par contre, la déviation verticale augmente dans le regard  vers le bas. Contrairement à la déviation verticale, la cyclotropie est plus petite et aussi concomitante du haut en bas dans la majorité des dysfonctions congénitales. Ce comportement différent de la déviation verticale et de la cyclotropie dans les deux conditions  se manifeste dans l’aspect du champ du champ du regard fusionnable  

 

 

 

Champ du regard fusionnable d’une parésie acquise (à gauche) et congénitale  (à droite) de l’oblique supérieure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Dans les dysfonctions congénitales de l’oblique supérieur la zone dans laquelle les patients sont capables de vision binoculaire est séparée de la zone dans laquelle il y a diplopie par une ligne plus ou moins verticale. Dans les parésies acquises de l’oblique supérieur ces deux zones sont séparées par une ligne horizontale.

 

 

Diagnostique différentiel de la parésie acquise et congénitale de l'oblique supérieure

 

 

parésie de l‘oblique supérieure   

 

forme acquise                      forme  congénitale

 

           

diplopie:                              toujours présente                      graduelle, peut être absente

troubles:                              vertige, troubles d‘orientation              asthénopie, s‘aggravant le soir

début des symptômes :  brusque, soudainement                       graduel

strabisme:                           presque pas visible                  visible, surtout au regard à côté

inclinaison de la tête :                  prise consciemment                             prise automatiquement,

Test de Bielschowsky :               positive, surtout dans le  regard en bas  positive dans le  regard en haut et en bas

Déviation verticale :                     incomitante, en adduction. : 5-10°   concomitante, en adduction : 10-15° cyclotropie :                                  en haut 1 -5°, en bas 5 - 10°                concomitante, 3 - 5°

 

 

 

 

 

 

 

En examinant les versions oculaires dans les différentes directions visuelles, on ne voie souvent pas de déviation verticale chez un patient avec une parésie acquise. Par contre, dans la majorité des cas, la déviation verticale  est  facile a voir dans les formes  congénitales.

 

L'inclinaison de la tête est présente dans les deux cas. Alors que les patients avec parésie acquise sont très conscients de leur changement de position de la tête, les patients avec parésie congénitale ne se rendent pas compte qu'ils ont la tête inclinée mais souvent cela peut-être détecté sur des anciennes photos, par exemple sur le permis de conduire, qui est habituellement la plus ancienne photo du patient.

Le test de Bielschowsky est positif dans les deux groupes. C'est à dire que, si on incline la tête sur le côté atteint par la parésie, on mesure une augmentation de la déviation verticale. La différence entre la parésie et le strabisme sursoadducteur est que dans les parésies le test est surtout positif regard en bas, dans les strabismes sursoadducteurs le test de Bielschowsky et positif regard en bas et en haut.

 

Pour terminer le diagnostic différentiel entre ces deux pathologies, il faut se rappeler, que l’amplitude de fusion verticale est augmentée dans les troubles congénitaux  de l’oblique supérieur. Des déviations verticales jusqu'à 20° et même plus peuvent être fusionnés reflétant une adaptation a long terme à un trouble vertical.

 

 

Traitement

Quel est le meilleur traitement pour les dysfonctions congénitales de l’oblique supérieur ? La chirurgie des muscles obliques semble  être le meilleur choix. Un recul du droit inférieur sur le côté non-atteint peut améliorer la situation mais l'incomitance de la déviation verticale (maximum en adduction, minimum en abduction de l’œil atteint) est moins bien traitée qu'avec la chirurgie des muscles obliques.

Un traitement par prismes doit être réservé pour des cas particuliers où la déviation verticale est la cyclotropie ne sont pas trop marquées.

Dans la chirurgie des muscles obliques  on choisit soit le recul de l'oblique inférieur, soit un renforcement de l'oblique supérieur ou –dans des cas avec une déviation verticale au-dessus de 12° en adduction-  une chirurgie oblique combinée. 

Un traitement avec prismes doit être réservé à cas particuliers où la déviation verticale est la cyclotropie ne sont pas trop marquées.

 

 

le recul du petit oblique

Technique de Fink : après ouverture de la conjonctive par une incision radiaire dans le quadrant temporo-latéral, le droit externe est chargé sur un crochet qui permet de tenir l’œil en adduction. Avec un écarteur étroit on peut écarter la capsule de Tenon jusqu'à ce qu'on voie la bande rouge du petit oblique sous le feuillet ténonien profond. Alors que l'assistant tient le crochet avec le droit externe et l'écarteur, l'opérateur soulève le petit oblique avec une pincette et l'engage sur un petit crochet. Ensuite le petit oblique est tiré vers l'avant de son extrémité puis il est dégagé de sa capsule de Tenon. Le prochain temps  est la désinsertion du muscle avec une paire de ciseaux. Ensuite on place les sutures au niveau du premier tiers de l'insertion en partant du bord antérieur de l'insertion. Au sens strict  cette technique est une combinaison de recul et de ténotomie des fibres postérieures. Le point de réinsertion est déterminé à partir du point indiqué par le marqueur de Fink. Cet instrument a une tige pour le tenir et à l'autre extrémité deux branches formant un 'V', chacune de 6 mm de longueur. L'extrémité de l'une des branches est placée à l'extrémité inférieure de l'insertion du droit externe en prolongation de cette insertion. L'autre branche est dirigée vers l'arrière. Son extrémité indique un point situé à 8 mm de l'angle antérieur de l'insertion physiologique du petit oblique. Selon le dosage voulu, la réinsertion peut se faire au niveau de ce point ou alors au-dessus ou au-dessous de lui. A Giessen, on détermine le point de réinsertion au moyen d’un compas et l’on pratique un antéro-déplacement de 1 mm pour chaque tranche de 3 mm de recul. Petite remarque : Il est possible de varier davantage l’effet de ce recul en changeant la distance de la réinsertion du limbe sclérocornéen. Si on raccourcit la distance on a moins d'effet sur la cyclotropie et vice versa.

 

 

technique de renforcement du grand oblique

La technique de renforcement du grand oblique est essentiellement celle décrite par Cüppers en 1963. Après une incision radiaire de la conjonctive dans le quadrant temporo-supérieur, la capsule de Tenon est disséquée avec des ciseaux fermés puis un crochet est glissé du coté temporal en arrière de l'équateur sous le droit supérieur. L’œil est doucement tiré vers le bas et vers l'intérieur. Avec un écarteur on écarte le bord temporal du droit supérieur ce qui fait apparaître le tendon du grand oblique. Crochet et écarteur sont donnés à l'assistant puis avec une pincette on saisit le tendon pour le charger sur un petit crochet et le libérer des fibres de Tenon. Ensuite le tendon est chargé sur le plicateur de Cüppers qui permet un dosage précis de la longueur du pli. Le tendon lui-même après être plié est suturé au bord antérieur et au bord postérieur. La plicature du tendon est finalement superficiellement fixée sur la sclère du côté temporal de l'insertion.

 

 

L’occlusion diagnostique

Dans des cas atypiques avec des angles strabiques atypiques une occlusion diagnostique est recommandée pour faciliter le choix du type de chirurgie  chez un patient avec une parésie de l'oblique supérieur.

L'interruption de la vision binoculaire pendant quelques jours est accompagnée d'une augmentation de l'incomitance de la déviation verticale et de la cyclotropie. Dans ces cas-là, on peut choisir une chirurgie des muscles obliques.  Si la concomitance des angles strabiques persiste en dépit d'une occlusion diagnostique, le recul du droit inférieur du coté non-atteint est probablement le meilleur choix..

 

 

efficacité de la chirurgie combinée des muscles obliques

La chirurgie combinée des muscles obliques peut être recommandée si la déviation verticale, mesurée en adduction est supérieure de 12.

En moyenne on obtient une réduction de la déviation verticale en adduction de 1,4 ° par mm de chirurgie et une réduction de la cyclotropie d'environ 1° par mm.

 

chirurgie monomusculaire

La chirurgie monomusculaire consiste en un  recul du petit oblique ou  en un renforcement du grand oblique. En moyenne on obtient une réduction de la déviation verticale en adduction de 1,0 ° par mm de chirurgie et une réduction de la cyclotropie d'environ 0,7° par mm dans le recul du petit oblique. L’effet sur la cyclotropie d'un renforcement du grand oblique est moins prédictible.

Dans des cas atypiques avec une répartition des angles strabiques atypiques(p.ex. déviation verticale en adduction 25°, en position primaire 10° et en abduction 5°) il est conseillé de faire une inspection de l’oblique supérieur avant de faire une autre geste chirurgical pour assurer qu’il n’y a pas d’anomalie d’insertion de l’oblique supérieur. Si on trouve une anomalie de l’insertion de l’oblique supérieur, il est recommandé de réinsérer le tendon à son site physiologique sans chirurgie complémentaire. , car toute autre geste peut aboutir à des résultats imprévisibles dans ces cas particuliers

 

 

 

Dans la chirurgie des muscles obliques combinées et dans le renforcement isolé du grand oblique avec le dosage recommandé on a souvent une surcorrection postopératoire de la cyclotropie et/ou de la déviation verticale surtout dans le regard en haut et en  adduction, un soi disant un syndrome de Brown. Il y a un relâchement de l'effet opératoire après quelques mois et une réduction du syndrome de Brown et de la surcorrection de la cyclotropie.

 

 

Une opération des muscles horizontaux y compris la myopexie rétroéquatoriale n'a pratiquement pas d'effet sur l'opération des muscles obliques. L'effet d'une opération horizontale  sur la déviation verticale en adduction est quantité négligeable.

Autrement dit la chirurgie des muscles obliques -monomusculaire ou combinée- garde son impact si elle est combinée avec une chirurgie des muscles horizontaux. Les deux types de chirurgie peuvent être faits simultanément sans changement d’efficacité par rapport à une chirurgie uniquement horizontal ou oblique.